Vivre à Distance

Ce poème d’Amar Ingrachen exprime une quête contre les barrières et les limites qui entravent l’unité des êtres dans l’amour. (…) Seule la langue du présent semble réelle et sincère. Mais paradoxalement, le présent est marqué par l’absence. (…) Face à l’impuissance des mots, le poète cherche à dépasser le langage conventionnel pour atteindre une communication plus instinctive et sensorielle, une langue qui transcende le temps et les frontières, qui ramène l’autre non pas par des paroles, mais par l’évidence du toucher, du souffle, de la peau. KB
Klara Buda

Paris, le 13 Mars 2025

“Mais de toutes les danses dont je te sais maîtresse
Seule m’importe celle de ta peau sous mes caresses
Car vivre, non, ce n’est pas une question d’avenir et de distance
Vivre, c’est être ivre.” Amar Ingrachen

Ce poème est une plongée dans l’absence, dans le vide laissé par une femme ou par plusieurs femmes, incarnées dans une seule voix lyrique. L’amour vécu à distance devient une quête impossible, où le poète doute de tout : du visage de l’aimée, de sa couleur, de son regard, de sa manière même d’exister. La mémoire vacille, les contours s’effacent, comme si l’amour sans la présence physique perdait peu à peu sa substance.

Le titre repose sur une tension conceptuelle forte : “Vivre” implique l’expérience directe, la présence, tandis que “à distance” évoque l’éloignement et l’absence. Leur association crée un paradoxe captivant : comment peut-on véritablement vivre sans être physiquement présent ?

Pourtant, notre époque nous confronte à cette réalité. La technologie permet de travailler, d’aimer et d’échanger sans proximité physique, tout en maintenant une présence émotionnelle intense. Ce contraste rend le titre percutant et révélateur des nouvelles façons d’exister à l’ère du numérique.

Vivre à Distance exprime une quête contre les barrières du langage, ces limites qui empêchent la compréhension et fragmentent l’unité des êtres dans l’amour. Le passé et l’avenir deviennent illisibles, étrangers, car seule la langue du présent semble réelle et sincère. Mais paradoxalement, le présent est marqué par l’absence, par une promesse de retrouvailles qui sonne creux. Face à cette impuissance des mots, le poète cherche le dépassement du langage conventionnel vers une communication plus instinctive et sensorielle, une langue qui transcende le temps et les frontières, qui ramène l’autre non pas par des paroles, mais par l’évidence du toucher, du souffle, de la peau.

C’est une célébration du désir immédiat, une révolte contre l’amour lointain qui ne suffit plus. Loin d’être une simple lamentation sur l’absence, ce poème est une déclaration intense : vivre, c’est être ivre de l’autre, et sans cette ivresse, il ne reste que l’attente vide et insupportable.

Vivre à Distance

J’étais peut-être aveugle
Je ne savais pas à quoi tu ressemblais
J’ignorais à quelle heure se levait le jour sur ton front
À quelle instant la nuit étreignait ta peau
J’ignorais lequel de toi et du crépuscule était le plus beau
Je doutais de tout
De ta couleur
De tes paupières
De tes yeux
De tes prières
De ta façon de marcher
De me chercher
De me trouver
De m’arracher à moi-même et à ma nuit intérieure
À l’horreur de n’être habité que par une voix
La voix blessée d’une bouche qui ne m’embrasse plus
La voix fatiguée qui me parle dans une langue que je ne comprends plus
La langue du futur que je n’aime pas
La langue de l’avenir
Que je n’ai pas
J’ignorais toutes les langues qui ne me parlaient pas de toi
Qui ne te ramenaient pas vers moi
La seule langue que je comprenais est celle du présent
Car, contrairement à tous les autres siècles,
Passés et à venir
Le présent ne ment pas
Mais, à présent, tu n’es plus là
Tu parles, tu fais des projets, tu promets
On ira, on fera, on dansera
Mais de toutes les danses dont je te sais maîtresse
Seule m’importe celle de ta peau sous mes caresses
Car vivre, non, ce n’est pas une question d’avenir et de distance
Vivre, c’est être ivre
De toi et de ta présence
Et tu n’es pas là.

Copyright poème Amar Ingrachen