L’extrait d”Aubade” dans “So Late In The Day” de Keegan

It stands plain as a wardrobe, what we know,
Have always known, know that we can’t escape,
Yet can’t accept. One side will have to go.
                                                          Aubade de Philip Larkin
Klara Buda

4 février, 2024, Paris.

It stands plain as a wardrobe, what we know,
Have always known, know that we can’t escape,
Yet can’t accept. One side will have to go.*  d'”Aubade” de Philip Larkin**
Cela se tient clairement comme une armoire, ce que nous savons,
avons toujours su, savons que nous ne pouvons fuir,
pourtant ne pouvons accepter. Un côté devra partir.

Dans la récente publication de “So Late In The Day”*** par Claire Keegan, accompagnée de deux autres nouvelles (“So Late In The Day” publiée en Angleterre par Faber & Faber en août 2023 et aux États-Unis par Grove Press en novembre 2023), l’auteure emploie ces trois vers  comme exergue pour sa nouvelle “So Late In The Day”.

“Aubade” de Philip Larkin est un poème profondément émouvant qui aborde la peur universelle de la mort et l’isolement existentiel. Traditionnellement, l’aubade est un poème ou une chanson sur l’aube, souvent associé aux amants qui se séparent à l’aube. Toutefois, Larkin détourne ce genre pour explorer l’anxiété face à l’inévitabilité de la mort et le manque de réconfort dans la lumière du jour qui révèle cette vérité incontestable.

Le poème débute avec l’imagerie de l’aube, mais à l’inverse de l’aubade classique qui célèbre le lever du jour, Larkin l’utilise pour symboliser une prise de conscience écrasante de la mortalité. Le “placard” sert de métaphore à l’évidence de la mort – aussi banale et inévitable que l’ameublement le plus commun d’une chambre. Cette prise de conscience est quelque chose que l’humanité a toujours su (“Have always known”), soulignant l’universalité de cette peur.

Larkin évoque l’impossibilité d’échapper à la mort (“know that we can’t escape”) ainsi que notre réticence à accepter cette vérité (“Yet can’t accept”). Le conflit entre la connaissance de la mort et l’incapacité à l’accepter constitue une tension centrale dans le poème.

Le vers “One side will have to go” illustre l’inéluctabilité du choix imposé par la mort – soit accepter la réalité de notre finitude, soit continuer à vivre dans le déni. Ce vers peut également suggérer que dans la confrontation avec la mort, quelque chose en nous doit s’éteindre – peut-être une innocence ou une illusion.

L’utilisation du terme “Aubade” dans le titre est ironique ; Larkin transforme l’aube, habituellement un symbole de renouveau et d’espoir, en un moment de réflexion sombre sur la mort. Le poème devient ainsi une méditation sur la peur de la non-existence, marquant les premières heures non pas avec un sentiment d’opportunité mais avec la reconnaissance de la fin.

Considéré comme l’un des plus grands poèmes de Larkin, “Aubade” est remarquable pour sa sincérité brute, son exploration de l’angoisse existentielle, et son habileté à utiliser la forme et le langage pour capturer l’expérience humaine universelle de la peur de la mort. Avec une économie de mots, Larkin parvient à communiquer une vérité profonde sur la condition humaine, nous confrontant à notre propre vulnérabilité et à la quête de sens dans un univers indifférent. L’emploi de ces quatre vers de “Aubade” de Philip Larkin comme exergue pour la nouvelle “So Late In The Day” de Claire Keegan peut être interprété de manière significative, en particulier lorsqu’il est examiné sous l’angle de la misogynie.

“Aubade” de Larkin traite de la peur de la mort et de l’inéluctabilité du néant, utilisant l’aube non pas comme un symbole de renouveau mais comme un rappel de la fin inévitable. La citation choisie par Keegan suggère une conscience aiguë et une résignation face à quelque chose de profondément connu mais difficile à accepter.

Presque cinquante ans après la mort de Philip Larkin, la perception du poète anglais comme misogyne semble injuste. Claire Keegan chercherait-elle à le réhabiliter en utilisant ses vers ?

Dans le contexte de la misogynie, ces vers pourraient symboliser la reconnaissance tacite des structures patriarcales et des attitudes misogynes profondément enracinées dans la société. “Cela ressort clairement, tel une armoire, ce que nous savons” pourrait illustrer l’évidence et la solidité des préjugés et discriminations à l’égard des femmes, une structure sociétale presque impossible à modifier ou ignorer. “Avons toujours su, savons que nous ne pouvons fuir, pourtant ne pouvons accepter” met en lumière la conscience de ces injustices et la difficulté, voire l’impossibilité, de les accepter pleinement ou de s’en affranchir.

“Un côté devra partir” suggère qu’une résolution est nécessaire ; pour progresser vers l’égalité, un aspect de ce dilemme — l’acceptation passive de la misogynie ou l’inaction face à celle-ci — doit être abandonné. Autrement dit, pour combattre la misogynie, une prise de conscience et une action actives sont indispensables.

Dans “So Late In The Day”, ces vers pourraient donc servir d’introduction à une exploration des dynamiques de pouvoir et de genre, ainsi que de la résistance contre les normes oppressives, mettant en exergue la complexité de lutter contre des systèmes de croyances et de pratiques profondément ancrés. En choisissant cet exergue, Keegan invite peut-être les lecteurs à réfléchir sur la persistance de la misogynie et sur la nécessité d’une prise de conscience et d’un changement concret pour la surmonter.

*Cet extrait est utilisé selon les principes de l’exception de citation à des fins éducatives/commentaires. Tous les droits appartiennent à l’auteur original. Philip Larkin, “Aubade” from Collected Poems. Copyright © Estate of Philip Larkin.

**Presque cinquante ans après la mort de Philip Larkin, la perception du poète anglais comme misogyne semble injuste.

***Misogynie, Sabine Wespieser Edition, 2022, Paris