Paris, 12 juillet 2024 15:39
Mon Inavouable, le premier roman de Sophia Salabaschew, éditions Plon, est une œuvre fascinante écrite à la première personne, dont la vie de l’heroïne illustre, le combat d’une femme vers la connaissance de soi et la liberté.
Sophia Salabaschew est ingénieure du son et Docteure en Sciences Humaines et Sociales avec une spécialisation en Anthropologie. Sa recherche doctorale porte sur la migration des silences de la Bulgarie vers la France, et sur la mise en récits du non-dit de l’histoire communiste et son impossible transmission familiale.
Le roman Mon Inavouable explore plusieurs thèmes, mais au cœur de l’ouvrage se trouve une quête initiatique de l’héroïne sur différents niveaux de son identité : le combat existentiel d’une femme. Un parallèle est développé avec brio entre une procédure d’insémination de l’héroïne pour mettre au monde un enfant et la quête de connaissance et de transformation d’elle-même. L’héroïne mettra neuf mois à être enceinte et à accoucher d’elle-même ; elle comprend qu’elle est pour son mari un objet et qu’elle ne veut plus être considérée comme tel. Elle aspire à devenir un sujet à part entière. La première scène du roman, décrite avec talent, se dévoile petit à petit en gardant le mystère de la situation. Le lecteur ne comprend pas s’il s’agit d’un viol, ou d’une scène de sexe à trois, mais il finit par comprendre seulement à la dernière ligne que l’on se trouve dans une séance d’insémination.
Ce qui m’a particulièrement touché, c’est la manière dont Salabaschew exprime les interactions de son héroïne avec un homme mystérieux qui comble deux de ses principales frustrations : l’identité slave et la sexualité. On perçoit une inspiration de Duras, notamment dans L’Amant, tant par la densité du style que par la franchise des échanges. Cependant, à la différence de l’héroïne de L’Amant, notre protagoniste demeure prisonnière de sa propre manière d’être, incapable de se libérer, et retenue par son impossibilité de faire l’amour sans aimer.
Un autre parallèle est développé. À l’instar des non-dits et des silences d’un père immigré de la Bulgarie communiste, qu’elle ne connaît pas bien car il ne parle pas de son passé et interdit toute visite de son pays d’origine, elle ne nomme pas son amant, l’appelant simplement “il” pour ne pas le faire exister. Dans son agenda téléphonique, il est désigné par une lettre en cyrillique.
En 17 chapitres, l’héroïne, qui utilise le pronom “je”, tente de se définir et de se redéfinir pour exister. Son amant demeure “il”, mon il-lusion, mon il-légal, mon il-limite, mon île flottante, mon il-logique, mon il-légitime. Tous les personnages, y compris elle-même, sont dépourvus de noms. L’héroïne entreprend une déconstruction d’elle-même pour enfin devenir une femme libre et autosuffisante, n’ayant plus besoin d’un homme pour exister.
Pour conclure, Mon Inavouable est une lecture incontournable pour comprendre pleinement les frustrations des non-dits, des silences et des censures hérités d’un passé communiste des parents, ainsi que, de manière plus générale, les expériences d’exil et les troubles qui en découlent.
À travers trois questions incisives, Klara Buda invite Sophia Salabaschew à partager la genèse et les thèmes profonds du roman Mon Inavouable.
KB: Vous êtes Docteure en Sciences Humaines et Sociales avec une spécialisation en Anthropologie. Votre recherche doctorale porte sur la migration des silences de la Bulgarie vers la France, ainsi que sur la mise en récits du non-dit de l’histoire communiste et son impossible transmission familiale. Comment cette étude a-t-elle influencé votre écriture et votre approche de la narration dans “Mon Inavouable” ?
SS: Je pense que c’est en écrivant ma thèse que m’est venue l’idée d’écrire ce roman. J’abordais mes recherches sur les mêmes thèmes mais d’une manière plus scientifique. J’ai voulu à travers le roman raconter encore plus la petite histoire inscrite dans la grande histoire.
Mon héroïne tente de se libérer de nombreuses injonctions qui l’empêchent de se découvrir elle-même (elle est femme de, fille de…). Pendant 9 mois, elle va se déconstruire pour accoucher d’elle-même sur de nombreuses thématiques, l’une que je trouve la plus essentielle en filigrane est son rapport à ses origines et à la Bulgarie. C’est une histoire familiale bercée de silence et de non-dits, d’un père qui a quitté dans les années 70 la Bulgarie communiste pour ne jamais revenir. L’héroïne tente de construire un lien avec ce père fascinant mais silencieux. En s’intéressant à son pays perdu, à sa langue qu’elle tente d’apprendre et aux Balkans, elle tente de s’approprier cette histoire qui n’est pas la sienne pour tenter d’avancer dans sa vie chaotique.
En Rencontrant cet homme serbe lui aussi mystérieux, elle personnifie ce pays voisin inconnu et s’approprie peu a peu cette partie d’elle-même qu’elle se refusait d’être.
KB: Votre héroïne traverse une quête initiatique en parallèle avec une procédure d’insémination. Pouvez-vous expliquer le choix de ce parallèle et comment il reflète votre réflexion sur le processus de découverte de soi et d’émancipation ?
SS: Mon héroïne tente au début de l’histoire d’avoir un enfant ou plutôt de le faire, de le fabriquer puisqu’elle est dans une procédure médicalisée, mais finalement elle mettra surtout neuf mois à accoucher d’elle-même.
J’ai voulu raconter le passage de la femme objet à la femme sujet, de la passivité à l’action, de la femme trophée ou femme enfant à une femme accomplie qui ne subit plus l’autre mais décide de s’affronter au plus profond d’elle-même. Elle se libère d’être avec quelqu’un pour apprendre à se connaître et exister pour elle-même.
C’est un peu le processus d’être aimé, aimer, pour enfin s’aimer.
Mon Inavouable, Sophia Salabaschew
Éditions Plon, 04. 05. 2023, Paris, 19,90 €.