Chloroforme – Note de lecteur
Un livre qui bouleverse et réveille à la fois !
Par Liri-Kopaçi Di Michele
1.
Quelle tristesse de voir ces événements s’entrelacer dans le récit, et en même temps, quelle œuvre précieuse pour ceux qui n’ont pas vécu ces années “voleuses de notre jeunesse”. Ton Kloroform (Chloroforme) est un témoignage puissant.
Au cœur de l’asphyxie que tu décris, j’ai aussi eu des instants où j’ai souri en silence – le concert folklorique des bergers m’a rappelé les années d’internat, lorsque nous, lycéens des années 80, étions conduits collectivement à l’opéra et aux concerts symphoniques. Les applaudissements démarraient dès l’accordage des instruments :-). Une expérience imposée, mais à laquelle, en fin de compte, je me sens redevable, car elle nous a éveillés à l’amour de la musique classique (peut-être pas tous :-)).
Certaines pages arrachent des larmes et attisent la colère. Comment ne pas penser à cette camarade de classe, S.M., qui a perdu la vie dans ces abattoirs où l’on envoyait les jeunes filles “pécheresses”, comme Alma ?
Et quelle révolte en découvrant ces débats absurdes sur le placement de la carafe et de l’utérus ! Un sujet aussi douloureux qu’actuel, qui nous hante encore aujourd’hui, alors que les droits des femmes continuent d’être menacés, qu’on leur impose toujours ce qu’elles doivent faire de leur corps, de leur vagin, de leur utérus.
Mais dans les dernières pages, un réveil empli d’espoir – la sortie de cette “anesthésie” qui nous avait plongés dans un long engourdissement. Une anesthésie qui a déformé et mutilé notre optimisme, notre innocence, nos espoirs, notre amour, nos rêves.
2.
Je ne les ai pas vécues personnellement jusqu’aux extrêmes de l’horreur – en partie parce que j’étais protégée, mais aussi, il faut le dire, par un endoctrinement aveugle jusqu’à un certain âge. (Je n’ai aucun complexe à reconnaître mes propres failles – sans une connaissance complète de nos valeurs et de nos travers, il est impossible de s’améliorer.) Mais le fait de ne pas avoir vécu personnellement chaque phénomène ou événement ne signifie pas que le passé ne doit pas être regardé, révélé ou écrit – avec toutes ses valeurs et ses contre-valeurs, son réel et son absurde, ses drames allant du plus risible au plus douloureux, ses instants de joie, d’espoir, de déception, de peur, de terreur, de confusion.
Chacun est libre de choisir son attitude face au passé – qu’il s’agisse de mépris, de haine, d’oubli ou d’adoration. Nous ne pouvons pas changer tout le monde, mais ce qui me bouleverse le plus, c’est l’indifférence et le silence, ce manque de courage à affronter le passé dans toute son ampleur.
À titre d’exemple, à la fois risible et tragique, je rapporte ici le cas de trois amies, dont deux sœurs, amies pour la vie. Leurs parents furent convoqués en urgence depuis Shkodër et Kuçovë pour venir “juger” la “mauvaise conduite” de leurs filles : elles s’étaient éclipsées du réfectoire – pouvant accueillir 400 personnes – ou peut-être de la classe, je ne me souviens plus exactement, pour aller… au cinéma !
On pouvait être exclu de l’école pour avoir écouté les Beatles ou le Hit Parade, pour être allé sans autorisation voir un spectacle d’estrade, pour avoir raté un tir au pistolet ! On recevait des avertissements pour être allé à la pâtisserie du quartier ; on se faisait traiter de “putain” depuis les fenêtres du dortoir simplement parce qu’on pratiquait un sport !
Souvent, ces histoires qui semblent anecdotiques, dénuées de la charge dramatique d’événements plus tragiques, sont pourtant celles qui nous ont contraints à nous replier sur nous-mêmes, à nous enfermer dans ce que tu appelles “la cage de la dictature”. Pour certains, ces “banalités” sont devenues un drame, un cauchemar. Pour d’autres, une forme d’anesthésie, une léthargie de survie.
Mais elles ne doivent ni être oubliées ni effacées de la mémoire. Car si nous choisissons d’ignorer ce passé, nous risquons d’en faire cadeau aux générations futures !
Merci,