Paris, 27 juillet 2015
Opinion basée sur la campagne électorale et les élections municipales de Klos et son agglomération.
Etant concrètement en France, et indépendamment du fait que mon pays « m’ignore » en ne m’assurant pas le droite de vote de là où je réside depuis maintenant dix ans, j’ai suivi méticuleusement la campagne électorale de l’Agglomération de Klos. En voulant la comparer avec d’autres campagnes des pays ayant une démocratie confirmée, telle que la France, j’ai souhaité souligner quelques dysfonctionnements ou illégalités :
– l’absence d’un programme de gouvernance et d’administration précis par les forces politiques ;
– la participation des adolescents dans les meetings ;
– la transgression des temps de campagne prévus pour le code électoral [1] ;
– la faible participation, ou l’absence totale des femmes dans les meetings ;
L’intention de cet écrit porte principalement sur l’absence d’intégration de la femme dans la vie politique locale en tant qu’électrice.
Il est bien déplorable et décevant que la femme albanaise n’ait toujours pas trouvé sa place dans notre société rurale, du fait de la discrimination ou de l’irrespect de l’égalité des genres, pourtant prévue par le législateur.
Cette « éclipse » des femmes s’est faite remarquer presque dans tous les meetings des deux camps politiques principaux (de la droite et de la gauche), lesquels, sans s’en rendre compte, ont immortalisé l’exclusion des femmes en publiant leurs clichés sur les réseaux sociaux. A partir de cette réalité, une série de questions se posaient :
– Pourquoi la femme a-t-elle été ignorée par les forces politiques, sachant que la moitié des votes proviennent de la gente féminine ?
– Comment peut-il y avoir des candidates femmes (comme c’était le cas pour la gauche), quand les femmes, elles-mêmes, ne participent pas à la campagne ?
– La candidate de la gauche était-elle un instrument, une façade du parti socialiste ?
– Les femmes absentes dans les meetings ont-elles réellement voté ?
– L’éloignement des femmes des meetings a-t-il été fait intentionnellement, en pensant que la politique n’est pas un domaine qui les concerne ?
Les questions sont nombreuses et il n’est pas toujours simple de leur trouver une réponse, mais je suis certain que la femme de Klos, et plus globalement la femme albanaise, est loin d’être naïve. J’estime qu’elle mérite que nous parlions plus d’elle. Elle est digne de plus de respect et de reconnaissance. Il faut bien que nous comprenions, nous, les hommes en petit « h », que l’isolation, l’évitement et la soumission de la femme n’est plus tolérable, et ne devrait plus exister dans les temps modernes, dont nous nous vantons de vivre, d’autant plus que nous souhaiterions intégrer l’Union Européenne.
« Accès et contrôle paritaire dans les ressources et les profits (avantages), participation paritaire dans la prise des décisions politiques, égalité pour les femmes et les hommes prévue par les lois » [2]
Dans les zones rurales, comme celle de Klos, les femmes sont encore « esclaves » du machisme, hérité par une société patriarcale archaïque, elle-même l’ayant hérité de l’envahisseur ottoman (jusqu’à l’indépendance du pays en 1912), du totalitarisme du dictateur Enver Hoxha (1945 -1990), et de la transition post-communiste (1992 à nos jours) qui n’a pas pu permettre de changer ou d’améliorer la situation.
« Le vote est solitaire, paritaire, libre et anonyme »
Selon les informations provenant des pratiques observées dans le territoire de Klos, une partie des femmes se sentent obligées de voter le candidat influencé soit par leur mari, leur père, leur frère, ou leur oncle, c’est-à-dire de l’ensemble de la gente masculine. Pour autant, ce genre de pression va à l’encontre de l’article 45, alinéa 4 de la Constitution de la République d’Albanie précisant : « Le vote est solitaire, paritaire, libre et anonyme » [3]. Donc, une telle situation démontre, comme c’était le cas également en début d’article pour le code électoral, que les lois portant sur les élections ne sont pas respectées à Klos. De plus, nous constatons que la femme rurale, même si elle n’est pas emprisonnée physiquement, se trouve dans une situation d’emprisonnement moral. Sa liberté d’expression et son droit de penser sont limités.
La condition dans laquelle se trouve actuellement la femme rurale de Klos me laisse un « goût amer », sachant que la femme albanaise a eu le droit de vote dès 1937, bien avant les françaises (1944)… la France, pays de la démocratie moderne et des droits de l’Homme. Aujourd’hui, pouvons-nous comparer la femme rurale de Klos avec la femme rurale française ? Ces dix dernières années, ayant eu la possibilité et l’expérience de pouvoir constater de près le rôle de la femme dans la société française, je peux dire qu’il ne peut y avoir de comparaison entre les deux. La femme française, rurale, est plus émancipée, bénéficie de la liberté d’expression, peut voter le candidat/la candidate qu’elle souhaite, est indépendante de son mari, est embauchée et bénéficie d’un salaire, et surtout est protégée par les lois et les autorités publique de l’Etat Français.
A contrario, la femme rurale de Klos, en raison de la pauvreté, mais surtout de la mentalité patriarcale, est dépendante de son mari, est victime de préjugés par la société, est oubliée par l’Etat Albanais (même si les lois existent) – d’où le fait de se poser la question suivante : les lois en vigueur sont-elles appliquées et respectées dans les zones rurales ?!
Le travail que fait la femme à Klos dans le milieu agricole n’est pas rémunéré avec un réel salaire. Paradoxalement, l’Etat n’hésite pas à l’ajouter dans la liste des personnes embauchées « salariées » (faussant par la même occasion les chiffres du chômage). Entretemps, il oublie de lui assurer la sécurité sociale, ou de lui donner une aide économique sociale. En théorie et avec des lois, la femme de Klos a les mêmes droits et devoirs que l’homme, mais véritablement ses droits ne sont pas considérés ou que partiellement, comme nous l’avons vu lors du vote.
La femme albanaise a pu voter plus tôt que les françaises (1937) [4], mais également plus tôt que les femmes d’autres pays développés, tel que la Belgique (1948), le Canada (1960), ou la Suisse (1971). Malheureusement, nous arrivons au résultat, que ce droit de vote pour les femmes albanaises, et surtout en zone rurale, n’a été qu’une jolie vitrine, permettant de faire une « excellente » publicité mensongère, à l’instar de ces candidates femmes proposées par les partis politiques, en nous faisant croire qu’elles soutiennent les « causes des femmes », donc une vitrine derrière laquelle se cache toute une autre réalité, démontrant que la société albanaise, au fond, n’a pas progressé sur l’égalité des genres, comme les autres sociétés occidentales.
A ce jour, nous pensons que le droit de vote donne le sentiment ou l’impression de vivre en démocratie, sujet sur lequel s’est penché longuement à Klos le leader national de l’opposition, Lulzim Basha – mais la démocratie a-t-elle un sens quand le choix de vote est imposé aux femmes, ou quand elles ne sont pas invitées à participer aux meetings ?! Il est important et nécessaire de comprendre que la femme n’est pas un objet, encore moins la « propriété » de quiconque. C’est une mère, une épouse, une sœur et/ou une amie. Certains disent : « Ici, c’est comme ça que le veut la tradition, ou la religion ! ». Je pense et dis avec certitude que ni les traditions, ni les religions ne sont des problèmes, parce que d’autres pays tels que la France, l’Angleterre, l’Allemagne, le Danemark, la Suède ou encore les Etats-Unis ont également des traditions et des religions. Le seul coupable qui a empêché et empêche le progrès de notre société, c’est notre mentalité archaïque d’homme, et de ces hommes leaders politiques, qui nous gouvernent, et font semblant d’être émancipés « aux yeux du monde », en proposant des femmes en tant que candidates pour les élections municipales – lesquelles ne représentent pas la gente féminine, mais en plus, sans se rendre compte deviennent des marionnettes ou des façades de la politique machiste albanaise. Les leaders politiques ont encore des difficultés à partager le pouvoir avec les femmes, peut-être par la peur de ne plus se sentir « virils ». De ce fait, ils préfèrent encore garder le pouvoir et la domination sur le sexe opposé.
Le discours du Premier Ministre à Klos mérite également d’être évoqué. Edi Rama est pourtant connu pour sa contribution et son rôle dans l’engagement des femmes dans le milieu de la vie politique à l’échelle locale et nationale. Cependant, l’appui qu’il a apporté à la candidate de la gauche à Klos a semblé paradoxal, parce que les femmes étaient les grandes absentes de ces élections. En tout cas, la femme n’était pas au meeting, mais uniquement en tribune.
Le Premier Ministre a comparé les habitants de Klos à une « communauté civilisée », mais la question se pose de ce que s’est exactement une communauté civilisée, sachant qu’à la place centrale de la ville où avait lieu le meeting, il n’y avait que des hommes et des écoliers. Y a-t-il une sorte d’incohérence entre la réalité de l’égalité des genres dans les zones rurales, et celle qui existe dans les lois ou dans les discours politiques de la campagne électorale ?
Durant son discours, Edi Rama a considéré Klos comme une agglomération au milieu de l’Europe, et a critiqué la place centrale parce qu’elle n’était pas digne d’accueillir correctement les sympathisants « socialistes ». Il a répété aux habitants de Klos qu’ils sont une société civilisée et qu’ils intégreront l’Europe. Cependant, n’oublions pas que tant que nous ne ferons pas de réels progrès dans l’égalité des genres, et que nous n’aurons pas une société émancipée, l’Union Européenne ne nous ouvrira pas les portes.
Finalement, la non-participation de la femme dans la campagne électorale, dans une zone rurale, telle que l’Agglomération de Klos, a été remarquée, et je suis certain que dans d’autres agglomérations nous pourrions retrouver ce même mode opératoire. Cette campagne a pu démontrer que nous restons encore une société assez fragile, avec divers problèmes sociaux, où la femme reste une fois de plus dépendante de l’homme, en raison de la situation politique et économique du pays, mais surtout à cause de notre mentalité masculine et machiste. Tout de même, j’ai la conviction que la voie de développement de la zone de Klos et de l’Albanie en général, dépendra de l’émancipation de notre société, et principalement de notre volonté d’adapter notre façon de vivre, afin d’accepter la femme en tant que force paritaire, en tant qu’alliée.
Par conséquent, je termine ce sujet avec la question suivante : – Qui a un réel besoin de s’émanciper avant tout en Albanie : la femme ou l’homme ? Ce n’est qu’une émancipation mutuelle femme-homme, et vice-versa, qui fera évoluer la société dans les zones rurales, en permettant la mise en place de la démocratie étape par étape !
[1] Article 77, alinéa 1 du Code électoral de la République d’Albanie : « La campagne électorale commence 30 jours avant le jour des élections et se termine 24 heures avant la date des élections »
[2] Ministère du travail et des affaires sociales, République d’Albanie.
[3] Article 45, Alinéa 4 de la Constitution de la République d’Albanie : « Le vote est solitaire, paritaire, libre et anonyme »
[4] Il est écrit dans le site web de Women’s Suffrage que la femme albanaise a eu le droit de vote dès 1920. Le parlement de la République Albanaise précise que les femmes en Albanie ont voté pour la première fois le 2 décembre 1945. L’auteur a mis l’année 1937, en se basant sur l’histoire du Roi Zog I, qui durant ses années au pouvoir a pu entreprendre une série de réformes.
Aurenc Bebja http://www.darsiani.com/themeluesi-fondateur-founder/