Paris, March 2019.
“Est-ce que le pardon est un pas que nous devons risquer ?”J. Derrida
” Le pardon est mort dans les camps de la mort ! ” V. Jankélévitch
L’objectif de cet article est d’inciter les gens à remettre en question leurs croyances et à montrer qu’ils existent différentes raisons de pardonner et de travailler pour la réconciliation afin d’assurer la paix à nos enfants.
Deux décennies après la guerre, les relations entre le Kosovo et la Serbie sont les plus problématiques de l’Europe du Sud-Est. L’assassinat au début de 2018 d’Olivier Ivanoviç, un homme politique serbe du Kosovo a considérablement aggravé les tensions entre le Kosovo et la Serbie. Cet assassinat était le premier signe de ce qui allait advenir. En effet, lors les dernières élections, O. Ivanoviç avait enfin pris la tête de l’initiative et avait fait campagne pour l’intégration des Serbes du Kosovo dans les institutions du pays. Ainsi, après l’assassinat de cet homme politique à Mitrovitca, le processus de l’intégration des Serbes du Kosovo dans les institutions kosovares, très important pour la consolidation de l’Indépendance du pays a été arrêté. Comme nous le savons aujourd’hui, cet acte (dont les indices montrent que la mafia serbe y a été mêlée) n’était pas anodin. Il a été bien calculé et a marqué le début de la diffusion du plan pour la partition du territoire actuel, accepté après l’acte d’indépendance du Kosovo, reconnue par la communauté internationale.
La situation reste critique et peut toujours dégénérer. Les négociations pour normaliser des relations entre les deux pays afin d’assurer la paix à nos enfants sont importantes. Mais pour que les négociations succèdent et conduisent sur une paix durable, elles doivent se faire dans le respect des victimes.
Que feriez-vous pour la paix ? Ce serait le tagline qui durant tout le texte de cet article incitera le lecteur à méditer lui aussi sur la question cruciale de la paix, mais aussi sur l’immense question concernant le pardon.
Qui peut pardonner ?
« L’état ne peut pardonner ! ». C’est ce qu’a dit un des témoins qui a comparu devant la Commission de Vérité et de la Réconciliation en Afrique du Sud.
Le philosophe J. Derrida citant la victime écrit : « Une commission ou un gouvernement ne peut pas pardonner. Seulement moi, finalement, je peux le faire. Et je ne suis pas prêt à pardonner. “
Comme le souligne Derrida dans la “Table ronde”, ses mots ressortent clairement de ce qui suit : “la suggestion selon laquelle : l’État peut juger, mais il n’a aucun rôle dans le pardon. “
Emmanuel Kant ainsi que Paul Ricoeur avancent le même argument que le pardon est quelque chose au-delà de la loi. Dans son livre La mémoire, l’histoire, l’oubli ce dernier développe le thème du pardon et dit en guise d’épilogue : « Le pardon est difficile ». Il précise bien, « le pardon, s’il a un sens, s’il existe » constitue l’horizon commun de la mémoire, de l’histoire et de l’oubli. Pourquoi « s’il a un sens » ? Parce que, note-t-il, le pardon est difficile non seulement à donner, à recevoir, mais aussi à concevoir. Il est possible, mais il est pourtant parfois également « impossible » ou « (presque) impossible ». On comprend bien que seulement la victime peut pardonner.
Et dans le cas des disparus, qui peut pardonner ?
Peut-elle pardonner, la mère de la femme ou de l’homme porté disparu ?Derrida suggère à proprement parler que personne ne peut demander pardon aux noms des personnes portées disparues.
Qu’est-ce que la victime pardonne ? Quelque chose ou quelqu’un ?
Dans l’essaye « Sur le pardon », Derrida ouvre une série de questions auxquelles il ne prétend pas apporter de réponses. Ces « questions importantes sont laissées en suspens ». En les poursuivant au lieu de trouver des réponses, il ne fait qu’approfondir le paradoxe du pardon. Derrida suggère que le pardon doive en principe engager deux singularités : le coupable et la victime. Lorsqu’il y a un tiers, la scène devient alors amnistie, réconciliation ou réparation. Il conclut : Nous devons risquer le pardon, mais nous devons le faire de manière responsable et non aveuglément.
« Je vous pardonne », cette expression est parfois insupportable, odieuse, voire obscène elle est l’affirmation de la souveraineté. »
Le devoir de non-pardon ?
Pourquoi le non-pardon et quel est le devoir de non-pardon ?
La Shoah est « inexpiable » et « irréparable ». Au nom des victimes, elle nous parle d’un devoir de non pardon, souligne Derrida. « Le pardon est mort dans les camps de la mort ! », dit Vladimir Jankélévitch.
Toujours dans l’essaye « Sur le pardon », Derrida parle du pardon absolu inspiré par des sources juives et chrétiennes. Il dit : pardonner, procéder « par – don[1]», c’est faire un cadeau qui dépasse vos moyens. Gardant cela à l’esprit, il insiste que nous nous demandions constamment qui peut pardonner et se souvenir des victimes qui sont impuissantes à pardonner ! Pourtant, le pardon arrive. Le pouvoir du pardon est aussi l’impuissance du pardon. “Ce à quoi je rêve, ce que j’essaie de penser comme la” pureté “d’un pardon digne de son nom, serait un pardon sans pouvoir : inconditionnel mais sans souveraineté”- conclut-il.
Nous devons comprendre ce que nous faisons lorsque nous pardonnons, ce qui signifie peut-être avant tout de comprendre que « le pardon est un pas que nous devons risquer mais que nous ne pourrons jamais justifier définitivement ».
Les réflexions, ci-dessus, fondées sur les pensées de J. Derrida, V. Jankélévitch et P. Ricoeur nous aiderons à explorer la dimension philosophique du pardon, au point de vue de la philosophie et de la pensée contemporaine.
[1] Du mot français pardon