l’Apocalypse heureuse de Stéphane Lambert

“La famille dispense une chaleur bon marché, mais comme le nucléaire elle comporte aussi des dangers mortels.” Claude Arnaud

  Claude Arnaud
Avec l’aimable autorisation de Stéphane Lambert

En allant chez un spécialiste des traumas, après plusieurs cures manquées, un quadragénaire a la surprise de tomber sur l’immeuble où vivait l’ami de ses parents qui abusa de lui quand il avait dix ans. Loin de le faire fuir, la coïncidence l’encourage à affronter cette scène primitive toxique qu’il vécut longtemps comme sa première relation amoureuse : pris dans l’engrenage qui allait aboutir à leur séparation ses parents avaient fait mine de rien, malgré les remarques de l’entourage. Cet enchaînement fatal, Stéphane Lambert essaye de conjurer trois décennies plus tard, comme si le premier drame avait entraîné le second, la poisse connaissant aussi ses alignements d’astres.

Pas question ici de se lamenter pour décrocher le statut si convoité de victime, mais de trouver les mots justes pour dire la terreur de voir ses parents se battre à coups de poings, des mois durant, avant que la mère n’assume son adultère et ne prenne ses fils sous le bras, ne laissant plus au père que l’envie de sauter du balcon de leur appartement déserté. Il s’agit de dire l’effroi qui saisit les deux frères dans le camion de déménagement qui les mène vers une vie nouvelle, près d’un beau-père qu’ils vont bientôt mépriser – un séisme plus dévastateur encore que les précédents. Et de restituer la dépression qui frappe un père vite en proie à une terrible maladie respiratoire. Des horreurs que toute vie traverse, mais que Stéphane Lambert retrace sans jamais se plaindre, avec le stoïcisme inné de l’adolescent, comme si l’impuissance propre à cet âge l’avait préparé à s’incliner devant tout ce qui le dépasse.

Difficile d’évoquer en moins de mots les hantises d’un homme qui, parvenu à maturité, craint encore d’être abandonné par son compagnon, même s’il a su se réconcilier in extremis avec son père. D’exposer les drames que tant de familles enfouissent sous les tapis d’aiguilles des sapins de Noël. De dire aussi, en phrases brèves et dures, l’égoïsme des hommes trouvant normal qu’on se sacrifie pour eux, et la fureur des femmes qui finissent par les haïr en maudissant leur propre faute. La famille dispense une chaleur bon marché, mais comme le nucléaire elle comporte aussi des dangers mortels.

Stéphane Lambert l’Apocalypse heureuse, Arléa, 184 p. 19 €

Photo de © Stéphane Lambert, avec l’aimable autorisation de l’écrivain