C’est devenu un des ressorts littéraires les plus usités, depuis le succès de l’Adversaire d’Emmanuel Carrère : un narrateur se lance dans une enquête sur un crime et décrit comment ses recherches contaminent sa vie privée. On jouit des avantages du reportage et du journal intime, du polar vrai et de l’impudeur – deux livres en un.
Monica Sabolo l’avoue ici d’entrée de jeu : elle ne connaissait rien à l’histoire d’Action Directe, nos petites Brigades rouges, encore moins à leurs motivations dans les années 70/80. Élevée à Genève par un père diplomate travaillant pour une agence de l’Onu, elle appartient à une génération plus qu’individualiste qui serait bien incapable de faire la différence entre un trotskyste et un maoïste.
Cette ignorance la mène paradoxalement à pousser loin son enquête sur les ressorts humains qui conduisirent une poignée d’activistes menés par Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron (élevée à Neuilly dans une famille à château), à tuer l’ingénieur général de l’armement, le général Audran, et le Pdg des usines Renault, Georges Besse, entre autres symboles de l’État-patron. Elle se passionne pour le modus vivandi et la traque de ces desperados capables, au nom du prolétariat mondial, de voler une toile de Bosch avant d’achever des policiers à terre et d’exécuter un de leurs camarades, peintre égyptien, servant d’indic aux R.G. Et on mord d’emblée à l’hameçon.
Sabolo convainc moins, quand elle enquête sur sa propre histoire, pourtant intrigante : elle a 15 ans quand elle tombe sur un certificat de naissance la déclarant de père inconnu – c’était en fait l’héritier d’une très vieille famille aristocratique italienne -, avant de réaliser que l’officiel est un porteur de valises modianesque impliqué dans des trafics (d’armes ?) en Afrique. On ne comprend pas trop pourquoi le fait d’avoir subi les attouchements de cet homme-mystère la fait se reconnaître dans la vie clandestine des pistoleros d’Action directe : son insistance à tisser des liens entre leurs itinéraires ne fait que souligner l’abîme qui les sépare.
L’héritage que laisse le groupe est lourd : Georges Cipriani aurait perdu la raison en prison, Joëlle Aubron est morte d’un cancer du cerveau, Nathalie Ménigon n’est plus que l’ombre d’elle-même. Seule intacte, Hellyette Bess, la mamie du groupe, se confie longuement à Sabolo attendrie. Dommage que celle-ci ne soit pas intéressée aussi aux proches de leurs victimes, il y aurait eu de quoi faire un livre puissant.
Monica Sabolo, La vie clandestine Gallimard, 170 p. 19 €