Frontière apocalyptique?

L’histoire se  déroule  dans un hôpital psychiatrique où une jeune femme, (avec un cœur d’enfant) qui s’identifie avec l’auteure elle -même et les trois personnages principaux, est rentrée par erreur. Le personnage principal observe, analyse et comprend le monde où il est forcé d’en faire partie, en prenant en compte le point de vue de toutes les acteurs : les patients soit-disant les fous, les médecins (humains soit-disant, savants et responsables) et l’équipe des soignants (soit-disant humains et bienveillants). Arrivera-t-il à s’échapper? Il faut lire ce roman poétique.

L’auteure et ex-patiente, Lucie Léanne  réussit merveilleusement son coup!

KLARA BUDA

Fragment du roman La Frontière de Lucie Leane

“Pensées à retardement. Bombe logée sous mon cervelet. Cogitant à tue-tête. Sans arrêt. Alors les jambes mécaniques, dans les rails huilés du couloir. Courir pour ne pas mourir, pour aller de l’autre côté. La frontière. Apatride jusqu’aux poumons. L’air de nouveau se raréfie. Bizarrement ni larmes ni sueur. Un corps sec et froid, malgré la chaleur, couvert d’une seconde peau cartonneuse, légèrement jaunie, une écorce. Un squelette d’arbre à moi toute seule : bras et jambes tendant désespérément vers le ciel. Mes paupières se ferment avec leurs nervures rêches, puis s’ouvrent sur le plafond et ses tiges de néons.

Je cours ; une éternité. L’enfer végétal. Des halos verts glissent le long des murs. Agonie de couloir. Tout se contracte, se rétrécit. La sortie étranglée dans ma gorge. Là-bas, la porte métallique. Rêvée, guignée, pendant des mois, flottant au bout de ma folie, obsédante, fantomatique. Progressivement elle se rapproche ; ses contours s’incrustent dans mon esprit avec une netteté stupéfiante. Ni infirmiers ni malades ; seule. Le temps arraché, en suspens comme asphyxié lui aussi, cherchant un autre air, un répit. Les secondes écartelées, interminables. Le claquement de mes pas déchire un peu plus le silence. Et cette porte qui fonce sur moi, frontière apocalyptique.”