Les réalités de la performativité de genre

L’impact sociopolitique de la théorie de la performativité de genre a été significatif, notamment avec les protestations contre l’introduction du terme ‘genre’ dans les manuels scolaires français en 2011 et les réactions aux lois sur le mariage homosexuel en 2013. Ces événements illustrent la manière dont les théories philosophiques peuvent interagir et influencer les normes et politiques sociétales.

Klara Buda
Photos courtesy of Émilie Régnier

Paris, 28 November, 2022

Approche de vulgarisation philosophique

Dans l’interaction dynamique entre la philosophie et la réalité sociale, le concept de performativité de genre émerge comme un pont, traversant les domaines de la pensée abstraite et de l’expérience humaine tangible. Cet essai se plonge dans les profondeurs de la performativité de genre, explorant son existence au-delà du domaine philosophique, notamment à travers le prisme des identités transgenres historiques en Europe. Le discours navigue à travers le tissu théorique tissé par des penseurs éminents comme Judith Butler, traverse les paysages sociopolitiques qui ont façonné et contesté ces idées, et s’ancre finalement dans les réalités vécues des Vierges Jurées d’Europe du Sud-Est.

La Genèse Philosophique de la Performativité de Genre

Au cœur de cette exploration se trouve l’œuvre révolutionnaire de Judith Butler, “Gender Trouble,” où elle soutient de manière éloquente que « Le genre est performatif… personne n’est un genre dès le départ » [1]. La thèse de Butler s’inspire de la pensée fondatrice de Simone de Beauvoir dans “Le Deuxième Sexe”, où de Beauvoir affirme : « On ne naît pas femme, on le devient » [2]. L’expansion de ce concept par Butler au-delà du spectre féminin éclaire non seulement la fluidité de l’identité de genre, mais remet également en question les structures rigides des binarités de genre traditionnelles. Cette reconsidération radicale du genre a résonné dans les sphères académiques et sociales, provoquant à la fois éloges et controverses.

La Performativité de Genre dans l’Arène Sociopolitique

Les discussions théoriques sur la performativité de genre ne sont pas restées confinées aux cercles universitaires, mais se sont répandues dans le domaine public, se manifestant souvent comme des points de contentieux. L’introduction du terme « genre » dans les programmes éducatifs français en 2011 et les débats subséquents sur les lois de mariage homosexuel en 2013 ont marqué des moments décisifs où les discussions philosophiques se sont transformées en actions sociopolitiques. Ces événements soulignent la nature paradoxale de la performativité de genre telle que perçue par certains – un concept philosophique devenu un outil pour le discours social et politique.

La Performativité de Genre Incarnée : La Tradition des Vierges Jurées

Les principes théoriques de la performativité de genre trouvent une incarnation convaincante dans la tradition des Vierges Jurées, ou ‘virgjëreshat e betuara’, en Albanie. Cette pratique culturelle unique, où des femmes adoptent des rôles sociaux masculins, se dresse comme un témoignage de la nature performative du genre. Documenté depuis le 15ème siècle [4], ce phénomène transcende les frontières théoriques établies par le discours moderne, offrant une fenêtre sur l’expérience vécue de la fluidité de genre et défiant les normes sociétales.

Pont entre Théorie et Réalité

L’exploration de la performativité de genre, de ses racines philosophiques à ses manifestations socioculturelles, révèle une tapisserie complexe où théorie et pratique s’entremêlent. Les contributions de penseurs comme Judith Butler ont été essentielles dans la formation de la compréhension contemporaine du genre, fournissant des cadres qui résonnent profondément au sein et au-delà des milieux universitaires. Les Vierges Jurées des Balkans incarnent non seulement la théorie de Butler, mais étendent également la conversation dans les domaines de la pratique culturelle et de la précédence historique. Cette intersection de la pensée philosophique et de la réalité vécue enrichit notre compréhension du genre, soulignant sa construction et sa performance à travers les temps et les cultures. En examinant ces interconnexions, nous acquérons une compréhension plus nuancée du genre en tant que concept en constante évolution, façonné à la fois par l’acuité philosophique et les réalités de l’existence humaine.

Paradoxe – loin d’être un instrument d’émancipation féminine, la tradition de la Vierge Jurée renforce en réalité l’oppression des femmes.

La tradition de la Vierge Jurée est fréquemment invoquée comme un exemple manifeste de la performativité du genre. En apparence, cette pratique semble introduire une brèche dans la structure rigide des rôles de genre, offrant aux femmes la possibilité de ‘changer’ de genre, et par là, d’accéder à une liberté accrue. Toutefois, une analyse plus poussée révèle un paradoxe déconcertant : loin d’être un outil d’émancipation féminine, la tradition de la Vierge Jurée contribue en réalité à perpétuer l’oppression des femmes.

En permettant aux femmes d’adopter le rôle masculin de ‘Burrneshë’, accompagné de ses privilèges et libertés, cette tradition agit simultanément comme un frein à l’évolution des rôles de genre et à l’amélioration de la condition féminine. Plutôt que de redéfinir ou d’élargir les rôles des femmes dans la société, elle propose une solution restrictive : pour obtenir davantage de droits et de libertés, une femme doit renoncer à son identité de genre féminine. Cette exigence renforce les rôles traditionnels de genre, présentant la masculinité comme l’unique chemin vers la liberté et le pouvoir.

Ainsi, la tradition de la Vierge Jurée, loin de favoriser le changement ou l’émancipation, se révèle être une structure complexe et bien rodée, conçue pour maintenir le statu quo des rôles de genre. Elle répond aux revendications féminines non pas en élargissant les droits et libertés des femmes en tant que telles, mais en les incitant à adopter un rôle de genre masculin. Cette approche étouffe efficacement les aspirations féminines à une plus grande liberté et autonomie, laissant la condition féminine essentiellement inchangée.

Références :  [1] Butler, J. (2011). “Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity.” Routledge Classics, p.494. [2] De Beauvoir, S. (1949). “Le Deuxième Sexe.”[3] Butler, J. (2011). “Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity.” Routledge Classics, p.497. [4] Mention des Vierges Jurées dans le ‘Kanun de Lekë Dukagjini,’ codifié au 15ème siècle.

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