Le 4 juin, 2021, Paris.
Deux questions à Catherine Malabou sur son dernier livre « Le Plaisir effacé – Clitoris et pensée »
Si on peut poser une première question de fond sur le livre : « Le plaisir effacé – Clitoris et pensée » de Catherine Malabou, elle serait :
Comment ignorer les études scientifiques qui démontrent que le clitoris joue bien un rôle important dans la reproduction en activant une série d’effets cérébraux ? J’ai beaucoup aimé la façon de voir de Malabou et je veux y croire. Cependant, en tant que biologiste, j’ai du mal à croire qu’il y ait des organes sans fonction. Il y a des organes qui aurait perdu leur fonction durant l’évolution comme le mamelon masculin, le coccyx et l’appendice, souvent considérés comme des bagages évolutifs superflus qui ne se sont jamais vraiment perdus au cours du long voyage vers l’humanité moderne. Mais la qualification de superflu rime souvent avec le retard de la science pour connaitre leurs fonctions. Exemple : l’appendice, cette excroissance d’une dizaine de centimètres située au bout du colon a, selon les chercheurs de l’Université de Duke, un rôle bien réel. Elle sert de refuge aux « bonnes bactéries » qui tapissent les parois de notre intestin. Lors de fortes diarrhées, ces microorganismes sont protégés à l’intérieur de cet abri naturel à partir duquel ils peuvent re-coloniser l’intestin.
Malabou cite la journaliste britannique Zoé Williams, qui défont la thèse contraire : “il n’est pas fait que pour le plaisir », mais ne dis pas pour quoi elle ne prend pas en considération les faits scientifiques qu’apporte la journaliste et les qualifie de «prétendue ‘fonctionnalité’ ».
Malabou écrit “Preuve en est la bataille qui continue de faire rage quant à la question de savoir si le plaisir sexuel féminin existe indépendamment de la reproduction. Dans un article au titre évocateur, « La vérité sur le clitoris : pourquoi il n’est pas fait que pour le plaisir », Zoé Williams écrit : « On a enfin les résultats. Une étude publiée dans Clinical Anatomy démontre que le clitoris joue bien un rôle important dans la reproduction en activant une série d’effets cérébraux […] : déclenchement du flux sanguin, montée du taux d’oxygène et de la température du vagin, augmentation de la lubrification, changement de position du col, qui paradoxalement ralentit le sperme tout en augmentant sa mobilité. » La logique évolutive adaptative n’aurait donc pas perdu ses droits en la matière. Tous les moyens sont encore bons pour reconduire le plaisir féminin à une prétendue « fonctionnalité ».
Le privilège théorique dont le clitoris est l’objet par rapport à d’autres parties de la vulve et à la vulve elle-même, sa fétichisation métonymique (partie pour le tout), s’expliquent par le fait qu’il symbolise en effet l’indépendance de ce plaisir. Il devient l’élément majeur permettant de construire la sexualité féminine, de considérer les femmes comme des sujets sexuels à part entière, qui « cessent d’être mariées au pénis ou à la loi… »
La deuxième question qui s’impose serait:
Pourquoi le désir et le fantasme ne sont pas présents dans le raisonnement de la philosophe sur le plaisir clitoridien ?
Lacan dans ses « textes sur le plaisir » attache une grande importance à ces deux éléments: le désir et le fantasme.
Il est clair dans le livre, la philosophe n’est pas d’accord avec Lacan sur ce point. Elle me l’a aussi avoué, lors d’un séminaire sur Lacan. Mais dans le livre on ne trouve pas de réponse à la question : pourquoi avoir « effacé » le désir et le fantasme dans l’analyse sur le plaisir clitoridien ? Pourquoi ce désaccord avec Lacan ?
« Le Plaisir effacé – Clitoris et pensée », de Catherine Malabou, Rivages, 144 p., 16 €, numérique 12 €.