Zoïca Haxho : du Bolchoï à Prima Ballerina du Ballet Albanais

Son arabesque semble suspendue dans le temps, une ligne parfaite reliant terre et ciel, tandis que son regard, fier et concentré, incarne la discipline et l’engagement. À travers ses mouvements empreints de grâce et d’émotion, Zoïca n’exprimait pas seulement une technique parfaite, mais une véritable poésie en mouvement. Ce n’est sans doute pas un hasard si son fils, héritier de cet univers artistique, est lui-même poète, poursuivant sous une autre forme la quête de beauté et de vérité qui habitait sa mère.

Klara Buda
Zoïca Haxho au Théâtre Bolchoï, courtoisie d’Emil Asdurian.

Paris, le 7 décembre, 2024

Sur cette photographie mémorable, Zoïca Haxho se tient sur la scène du prestigieux Théâtre Bolchoï à Moscou. Son arabesque semble suspendue dans le temps, une ligne parfaite reliant terre et ciel, tandis que son regard, fier et concentré, incarne la discipline et l’engagement. Parée d’un tutu délicatement orné, elle incarne l’élégance intemporelle et la rigueur de l’art du ballet classique. Ce moment, capturé alors qu’elle n’était qu’une jeune danseuse en formation, annonce déjà l’éclosion d’une carrière qui marquera à jamais l’histoire du ballet en Albanie.

Un Apprentissage au Temple du Ballet Classique

Zoïca Haxho franchit les portes du Théâtre Bolchoï à l’âge de 17 ans, une prouesse pour l’époque. Le Bolchoï, avec ses méthodes exigeantes et ses maîtres renommés, formait l’élite du ballet mondial. C’est dans ce sanctuaire artistique qu’elle a poli sa technique, apprenant à maîtriser l’art du cambré, la précision des pirouettes et l’expressivité des port de bras.

Mais le Bolchoï n’enseignait pas seulement la technique : on y apprenait également l’art de raconter des histoires à travers le mouvement, de donner une âme à chaque geste. Zoïca Haxho absorba ces leçons avec un dévouement total, développant une sensibilité artistique qui deviendrait la marque de son style.

Dès ses premiers pas à l’École de Chorégraphie de Moscou, puis sur la scène prestigieuse du Théâtre Bolchoï, elle s’est imposée comme une artiste d’exception. Saluée pour son talent rare et son don inné pour la danse, elle a marqué les esprits. Aux côtés de son partenaire de scène, Agron Aliaj, elle a remporté en 1956 le deuxième prix du concours international de ballet de Moscou, grâce à l’éblouissant numéro chorégraphique “Les Flammes de Paris”.

Zoica Haxho, première ballerine, avec la courtoisie d’Emil Asdurian

Ses professeurs, impressionnés par son talent naturel et sa discipline inflexible, prédisaient un avenir brillant pour cette jeune danseuse qui semblait incarner l’essence même du ballet.

Zoïca Haxho, courtoisie avec la d’Emil Asdurian.

Le Retour et l’Ascension en Albanie

À son retour en Albanie, forte de cette formation rigoureuse, Zoïca Haxho rejoint en 1957 la troupe du Théâtre National de l’Opéra et du Ballet (TKOB). Son premier rôle principal, celui de Lise dans La Précaution Inutile (Kujdesi i Kotë), révèle au public une artiste d’exception. Sa grâce, la légèreté de ses jetés et l’émotion qu’elle transmet font d’elle, en un instant, la prima ballerina du pays. Ensemble avec Panajot Kanaçi et Agron Aliaj, elle devient fondatrice du ballet moderne albanais.

Pendant plus de trois décennies, Zoïca incarne l’art du ballet en Albanie, enrichissant le répertoire national et international avec des rôles mémorables. Parmi ceux-ci, Lola dans Lola, Hajria dans Halili et Hajria, Francesca dans Francesca da Rimini, ou encore Cuca dans Cuca e Maleve (Cuca des Montagnes).

Chacune de ses interprétations est saluée pour son élégance, sa maîtrise technique et sa capacité à transformer chaque mouvement en une émotion pure, mais Cuca des Montagnes, une  grande interprétation et véritablement émouvant est un testament du ballet de cette époque.

Zoïca Haxho dans Cuca e Maleve (Cuca des Montagnes) courtesie E. Asdurian.

Zoïca ne se contentait pas de danser ; elle vivait et racontait des histoires à travers chaque arabesque et chaque adage. À travers ses mouvements empreints de grâce et d’émotion, elle n’exprimait pas seulement une technique parfaite, mais une véritable poésie en mouvement. Ce n’est sans doute pas un hasard si son fils, héritier de cet univers artistique, est lui-même poète, poursuivant sous une autre forme la quête de beauté et de vérité qui habitait sa mère.

Une Visionnaire de la Danse en Albanie

Au-delà de ses performances, Zoïca Haxho a joué un rôle essentiel dans l’établissement de l’École de Ballet Classique en Albanie. Consciente que l’avenir du ballet dans son pays reposait sur l’éducation des nouvelles générations, elle s’investit pleinement dans cette institution. Avec passion, elle forma des danseurs, partageant l’héritage artistique qu’elle avait elle-même acquis au Bolchoï.

Zoïca Haxho : première ballerine du ballet albanais, avec la courtoisie d’Emil Asdurian

Son travail de pédagogue fut fondamental. Zoïca insistait sur la précision des fondamentaux : des pliés parfaits, un port de bras élégant, mais aussi l’importance de l’interprétation. Elle voyait la danse comme un art total, où technique et émotion devaient coexister harmonieusement. Grâce à elle, l’Albanie a vu émerger des générations de danseurs capables de se produire sur des scènes nationales et internationales.

Un Engagement Jusqu’au Dernier Jour

Même après avoir quitté la scène, Zoïca Haxho ne cessa jamais de danser. Jusqu’à six mois avant sa disparition, elle exécutait chaque matin des exercices de technique, préservant ainsi cette discipline qui avait guidé toute sa vie. Pour elle, la danse n’était pas simplement un métier, mais une manière de vivre, une source inépuisable de passion et de joie.

Un Héritage Éternel

La célèbre chorégraphe chinoise Jiang Zuhui a visité l’Albanie pour la première fois en 1964, afin de contribuer à la mise en scène du ballet “Le Détachement Rouge des Femmes”. À l’occasion du 50e anniversaire de la première représentation de ce ballet, le premier à avoir été joué à l’étranger, avec l’Albanie comme première étape, elle a accordé une interview pour la section albanaise du Groupe Média de Chine.

Dans cette interview, la chorégraphe Jiang Zuhui se remémore :

« Pendant mes études à Moscou, j’avais un ami nommé Panajot Kanaçi. Nous avions une très bonne relation. (…) À cette époque, il m’avait beaucoup aidée. En connaissant Panajot, je pensais que je n’aurais pas trop de difficultés en Albanie. Et c’était vrai : les danseurs principaux albanais étaient très talentueux. Zoïca Haxho possédait de grandes aptitudes. Elle avait une excellente formation de base et une prestance physique remarquable. Nous plaisantions en disant qu’elle avait sept vies comme un chat. Elle m’a profondément marquée en tant qu’artiste très persévérante et passionnée. Je communiquais en russe avec elle et les autres artistes albanais, car ils avaient principalement étudié à Moscou. En 1967, une troupe de danseurs albanais a visité la Chine. Les danseurs albanais Agron Aliaj et Zoïca Haxho ont participé à notre spectacle. Les artistes chinois les ont chaleureusement accueillis et ont salué leur talent exceptionnel. »

Zoïca Haxho,, est également la fondatrice de l’école albanaise de chorégraphie et du ballet moderne en Albanie. Le 28 novembre, à l’âge de 91 ans, “le papillon” s’est envolé vers la lumière.

Zoïca Haxho, première ballerine albanaise, la fondatrice feminine du ballet moderne Albanie et de l’école albanaise de chorégraphie, s’est éteinte le 28 novembre 2024, à l’âge de 91 ans, laissant derrière elle un héritage artistique inestimable. Figure emblématique du ballet albanais, elle a transformé cet art en une composante essentielle de la culture nationale.

Son parcours, depuis les planches du Bolchoï jusqu’aux scènes albanaises, témoigne de sa détermination à élever le ballet au rang de trésor culturel. Ses élèves, ses rôles et son engagement continuent d’inspirer des générations.

Aujourd’hui encore, Zoïca Haxho demeure une étoile qui brille au firmament de l’art. Elle incarne la discipline, la grâce et le pouvoir transcendant de la danse, un art capable d’élever l’âme et de transcender les frontières du temps.