Un argument pour situer la Via Egnatia dans l’Illyrie paulinienne
lecture néo-testamentaire d’un espace mouvant
L’un des versets les plus emblématiques des missions de l’apôtre Paul, dans l’Épître aux Romains (15:19), est souvent cité comme fondement d’un parcours territorial :
« Depuis Jérusalem et en tous sens jusqu’en Illyrie, j’ai pleinement annoncé l’Évangile de Christ. »
Or, il est historiquement établi que Paul a emprunté la Via Egnatia, notamment dans ses voyages entre Philippes, Thessalonique, Bérée et jusqu’à la côte adriatique (probablement Dyrrhachium ou Apollonia), afin de rejoindre Rome. La mention explicite de l’Illyrie pose alors une question intéressante :
Pourquoi Paul emploie-t-il le terme « Illyrie » et non « Macédoine » ?
1. La perspective spirituelle de Paul : Illyrie comme limite, non comme province
Il est probable que Paul utilise le mot Illyrie pour désigner la frontière extrême de sa mission en direction de l’Occident, c’est-à-dire la région au-delà de la Macédoine orientale, sans faire référence à une entité administrative romaine stricte. Dans ce sens, l’Illyrie paulinienne pourrait inclure les marges occidentales de la Macédoine romaine, c’est-à-dire une portion du tracé occidental de la Via Egnatia, correspondant à l’actuelle Albanie.
2. Une géographie floue mais significative dans l’Antiquité
Les géographes antiques eux-mêmes ne sont pas toujours cohérents dans la délimitation de l’Illyrie et de la Macédoine. Chez Strabon, Ptolémée ou Pline l’Ancien, les contours varient selon les contextes et les époques. Dans ce flou géographique, le mot “Illyrie” pouvait désigner un espace culturel ou périphérique, au-delà des centres urbains majeurs de la Macédoine (Philippes, Thessalonique).
3. L’Illyrie dans la pensée biblique : une frontière symbolique
Paul parle en missionnaire, pas en géographe. Son « Illyrie » n’est pas une déclaration géopolitique, mais une formule de portée symbolique : elle évoque l’achèvement de son œuvre d’évangélisation jusqu’aux confins du monde connu, en direction de Rome. Dans ce cadre, la Via Egnatia – en tant que passage vers l’Illyrie – devient naturellement l’axe entre Orient biblique et Occident latin.
Si certains éléments plaident pour une lecture strictement « macédonienne » de la Via Egnatia, il est tout à fait légitime — du point de vue paulinien et scripturaire — de considérer le tronçon occidental de cette voie comme appartenant à l’Illyrie dans le sens large du terme. Le choix du titre Voyage entre Illyrie et Albanie s’inscrit ainsi dans cette tradition biblique, où l’Illyrie représente non pas une nation antique fermée, mais un seuil, une frontière de la mission chrétienne en Occident.