MIMIQUE Stéphane MALLARMÉ

Le silence, seul luxe après les rimes, un orchestre ne faisant avec son or, ses frôlements de pensée et de soir, qu’en détailler la signification à l’égal d’une ode tue et que c’est au poète, suscité par un défi, de traduire ! le silence aux après–midi de musique ; je le trouve, avec contentement, aussi, devant la réapparition toujours inédite de Pierrot ou du poignant et élégant mime Paul Margueritte…Stéphane Mallarmé

Stéphane Mallarmé
Edouard Manet Stéphane Mallarmé (1842-1898), poète En 1876 Huile sur toile H. 27,2 ; L. 35,7 cm. Acquis avec le concours de la Société des Amis du Louvre et D. David Weill, 1928 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

… MIMIQUE*

Le silence, seul luxe après les rimes, un orchestre ne faisant avec son or, ses frôlements de pensée et de soir, qu’en détailler la signification à l’égal d’une ode tue et que c’est au poète, suscité par un défi, de traduire ! le silence aux après–midi de musique ; je le trouve, avec contentement, aussi, devant la réapparition toujours inédite de Pierrot ou du poignant et élégant mime Paul Margueritte*.

Ainsi ce Pierrot Assassin de sa Femme composé et rédigé par lui–même, soliloque muet que, tout du long à son âme tient et du visage et des gestes le fantôme blanc comme une page pas encore écrite. Un tourbillon de raisons naïves ou neuves émane, qu’il plairait de saisir avec sûreté : l’esthétique du genre situé plus près de principes qu’aucun ! rien en cette région du caprice ne contrariant l’instinct simplificateur direct. Voici — « La scène n’illustre que l’idée, pas une action effective, dans un hymen (d’où procède le Rêve), vicieux mais sacré, entre le désir et l’accomplissement, la perpétration et son souvenir : ici devançant, là remémorant, au futur, au passé, sous une apparence fausse de présent. Tel opère le Mime, dont le jeu se borne à une allusion perpétuelle sans briser la glace : il installe, ainsi, un milieu, pur, de fiction. » Moins qu’un millier de lignes, le rôle, qui le lit, tout de suite comprend les règles comme placé devant un tréteau, leur dépositaire humble. Surprise, accompagnant l’artifice d’une notation de sentiments par phrases point proférées — que, dans le seul cas, peut–être, avec authenticité, entre les feuillets et le regard règne un silence encore, condition et délice de la lecture.

*Extrait de : Stéphane Mallarmé. Divagations, Eugène Fasquelle, éditeur, Paris, 1897. Domaine public, 1897.

Stéphane Mallarmé né le  à Paris et mort le  à Valvins, près de Fontainebleau, est un poète français, également enseignant, traducteur et critique d’art.Admirateur de Théophile Gautier, de Charles Baudelaire et de Théodore de Banville, Stéphane Mallarmé fait paraître en revue quelques poèmes en 1862. Il fréquente alors des auteurs littéraires comme Paul VerlaineÉmile Zola ou Auguste de Villiers de L’Isle-Adam et des artistes comme Édouard Manet, qui a peint son portrait en 1876.S’il rencontre des difficultés dans son métier de professeur (il est chahuté par ses élèves), il mène une vie familiale paisible, ponctuée de difficultés financières et de deuils, en particulier la mort de son fils Anatole en 1879 à l’âge de 8 ans. Il écrit des poèmes très élaborés et reçoit ses amis créateurs lors des Mardis de la rue de Rome ou dans sa maison de campagne, à Valvins, près de Fontainebleau, où il meurt le  à 56 ans. Mallarmé ainsi que Arthur Rimbaud et Tristan Corbière est qualifié de “poète maudit**” par Verlaine. Une expression qui est devenue lieu commun!

_____

          *Les frères Margueritte étaient apparentés aux Mallarmés, par leur grand-père Victor Mallarmé, oncle de S. Mallarmé.

**”L’expression « poète maudit » ayant fait florès, elle a pu au fil du temps servir à qualifier d’autres auteurs que les amis de Verlaine. Elle désigne en général un poète qui, incompris dès sa jeunesse, rejette les valeurs de la société, se conduit de manière provocante, dangereuse, asociale ou autodestructrice (en particulier avec la consommation d’alcool et de drogues), rédige des textes d’une lecture difficile et, en général, meurt avant que son génie ne soit reconnu à sa juste valeur.” Myriam Bendhif-Syllas, Une histoire de l’écrivain maudit, in Acta Fabula, vol. 6, no 2, 2005.