MALLARMÉ POÈTE MAUDIT

L’éventail pour Geneviève

O rêveuse, pour que je plonge Au pur délice sans chemin, Sache, par un subtil mensonge, Garder mon aile dans la main. Une fraîcheur de crépuscule Te vient à chaque battement Dont le coup prisonnier recule L’horizon délicatement. Chaste jeu ! voici que frissonne L’espace comme un grand baiser Qui, de n’être éclos pour personne, Ne peut jaillir ni s’apaiser. Sens-tu le paradis farouche, Ainsi qu’un rire enseveli, Se couler du coin de ta bouche Au fond de l’unanime pli! Le sceptre des rivages roses Stagnants sur les soirs d’or ! ce l’est, Ce blanc vol fermé que tu poses Contre le feu d’un bracelet.” SM

KBP

Le 28 janvier 2022

Série – poète maudit – une expression qui est devenue lieu commun!

L’éventail pour Geneviève Mallarmé

Mallarmé a toujours vécu entouré de femmes et semble fasciné par leur univers.

L’éventail* qu’il offre à sa fille Geneviève vers 1884, alors qu’elle est âgée d’une vingtaine d’années.

O rêveuse, pour que je plonge Au pur délice sans chemin, Sache, par un subtil mensonge, Garder mon aile dans la main. Une fraîcheur de crépuscule Te vient à chaque battement Dont le coup prisonnier recule L’horizon délicatement. Chaste jeu ! voici que frissonne L’espace comme un grand baiser Qui, de n’être éclos pour personne, Ne peut jaillir ni s’apaiser. Sens-tu le paradis farouche, Ainsi qu’un rire enseveli, Se couler du coin de ta bouche Au fond de l’unanime pli! Le sceptre des rivages roses Stagnants sur les soirs d’or ! ce l’est, Ce blanc vol fermé que tu poses Contre le feu d’un bracelet.”

 

Stéphane Mallarmé né le  à Paris et mort le  à Valvins, près de Fontainebleau, est un poète français, également enseignant, traducteur et critique d’art. Admirateur de Théophile Gautier, de Charles Baudelaire et de Théodore de Banville, Stéphane Mallarmé fait paraître en revue quelques poèmes en 1862. Il fréquente alors des auteurs littéraires comme Paul VerlaineÉmile Zola ou Auguste de Villiers de L’Isle-Adam et des artistes comme Édouard Manet, qui a peint son portrait en 1876. S’il rencontre des difficultés dans son métier de professeur (il est chahuté par ses élèves), il mène une vie familiale paisible, ponctuée de difficultés financières et de deuils, en particulier la mort de son fils Anatole en 1879 à l’âge de 8 ans. 1880, il est désigné chef de file du mouvement symboliste. Il construit son langage poétique en usant de symboles et d’analogies pour dépasser la réalité visible. Rejetant le réalisme de l’époque, il opère par l’évocation d’idées abstraites et d’états d’âmes. Il devient « le prince des poètes » et reçoit l’élite intellectuelle de son temps dans son salon parisien du mardi à la rue de Rome ou dans sa maison de campagne, à Valvins, près de Fontainebleau, où il meurt le à 56 ans. Stéphane Mallarmé ainsi que Arthur Rimbaud et Tristan Corbière sont qualifiés de “poète maudit**” par Verlaine. Une expression qui est devenue lieu commun!

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*Durant les quinze dernières années de sa vie, Mallarmé produit un art original en inscrivant ses poèmes sur des éventails.

**”L’expression « poète maudit » ayant fait florès, elle a pu au fil du temps servir à qualifier d’autres auteurs que les amis de Verlaine. Elle désigne en général un poète qui, incompris dès sa jeunesse, rejette les valeurs de la société, se conduit de manière provocante, dangereuse, asociale ou autodestructrice (en particulier avec la consommation d’alcool et de drogues), rédige des textes d’une lecture difficile et, en général, meurt avant que son génie ne soit reconnu à sa juste valeur.” Myriam Bendhif-Syllas, Une histoire de l’écrivain maudit, in Acta Fabula, vol. 6, no 2, 2005.