Qu’as-tu fait de tes frères?  en Italien.

Claude Arnaud explore sa jeunesse, sur fond de contestation estudiantine. Sans céder à la nostalgie et en montrant son affection pour ses parents et ses frères. « Ce livre est comme un acte de réparation ». C’est un des plus touchants qu’il ait jamais écrit.

Stefano MONTEFIORI

Dans le supplément La Lettura de son édition dominicale du 15 janvier 2023, le Corriere della sera a publié un article et  l’interview de l’auteur Claude ARNAUD avec Stefano MONTEFIORI rendant compte de la traduction italienne de Qu’as-tu fait de t’es frères? , que publient les Éditions Bompiani.

« Qu’as-tu fait de tes frères?  est un très beau roman autobiographique que Claude ARNAUD, écrivain, scénariste, critique littéraire, biographe de Chamfort et de Cocteau, consacre  à son adolescence, dans cette période de contestation et de libération sexuelle qui prit en Italie un tour dramatique, durant les années de plomb. Servi par un style à la fois précis et spontané, le regard du jeune Claude s’impose – entre autres mérites – par sa fraîcheur : aucun jugement a posteriori, tout juste le récit d’une découverte du monde à mesure que surviennent les drames familiaux après  la mort précoce de la mère, emportée par la maladie : Pierre se suicide, Philippe disparaît en Méditerranée. Ces années de contestation sont généralement évoquées sur un mode romantique par des acteurs regrettant avec elle leur jeunesse perdue. Ici, nulle exaltation nostalgique, juste un roman offrant avant tout une lecture psychologique et personnelle des événements.

Vous trouverez ici, la traduction française de l’interview LES ANNEES DU PLAISIR ET DE LA DESOBEISSANCE, que Stefano MONTEFIORI, correspondant de Corriere della sera à Paris, a fait avec l’auteur.

 Dans un immeuble de périphérie situé entre Paris et Boulogne-Billancourt, dans cette partie déclassée du XVI° arrondissement qu’on qualifie parfois de « mauvais XVI° », un enfant de 7 ans, Claude, vête d’un pyjama en nylon qui gratte, lit un ouvrage sur la Seconde guerre mondiale; sur le haut du lit gigogne, son frère Philippe est plongé dans Chateaubriand; dans la chambre voisine leur ainé Pierre planche sur Thucydides en s’aidant d’un dictionnaire de grec. Surgit leur père, un officier de marine; les lampes de poche disparaissent sous les draps, trop tard, le père se déchaine contre cette nième manifestation de désobéissance mais il glisse sur le parquet et se casse le nez. « Il ignore que ce sont ses derniers mois de bonheur », écrit Claude Arnaud dans son chapitre inaugural. Bientôt naitra un quatrième fils et surgira Mai 68, qui remettra un peu plus en cause son autorité, puis les années 70, dont le vent libertaire va bouleverser leur famille.

Qu’as-tu fait de tes frères?  est un très beau roman autobiographique que Claude ARNAUD, écrivain, scénariste, critique littéraire, biographe de Chamfort et de Cocteau, consacre  à son adolescence, dans cette période de contestation et de libération sexuelle qui prit en Italie un tour dramatique, durant les années de plomb. Servi par un style à la fois précis et spontané, le regard du jeune Claude s’impose – entre autres mérites – par sa fraîcheur : aucun jugement a posteriori, tout juste le récit d’une découverte du monde à mesure que surviennent les drames familiaux après la mort précoce de la mère, emportée par la maladie : Pierre se suicide, Philippe disparaît en Méditerranée.

Ces années de contestation sont généralement évoquées sur un mode romantique par des acteurs regrettant avec elle leur jeunesse perdue. Ici, nulle exaltation nostalgique, juste un roman offrant avant tout une lecture psychologique et personnelle des événements.

« J’ai voulu restituer cette époque en me basant sur mon noyau familial, et telle que je l’ai vécu, jour après jour. Je ne la célèbre ni ne la condamne, je constate juste qu’elle fut à la fois créatrice et destructrice. Tout n’y est pas à jeter, tout n’y fut pas indispensable. Je ne voulais pas recourir au jugement idéologique ou moralisateur qu’il est si facile de tenir sur des évènements révolus. J’ai préféré partir de ma simple réalité familiale, et de mon regard d’enfant. Nous avons été aspirés par cette époque comme ces milliers de gamins venus du nord de la France qui affluèrent à Marseille en espérant rejoindre la Terre Sainte, lors de cette Croisade des enfants qui sert de titre à un des chapitres.

Tout commence dans votre appartement parisien et par vos vacances familiales en Corse.

Un contraste très puissant : à Paris nous vivons dans un quartier sans identité, une sorte de non-lieu en périphérie, la Corse, où vit notre famille, était à l’inverse un lieu puissant, doté d’une très forte identité.

Pourquoi ce quartier joue-t-il un rôle si important ?

A cause du vide dans lequel on baignait et que j’ai fini par remplir, en me construisant, tout au long de ces années de poudre.

Le vide, comme condition de la liberté ?

On tend à nouveau, aujourd’hui, à renfermer les individus dans des identités indépassables ; on se veut musulman, juif ou lombard, définitivement. J’avais au contraire l’impression de pouvoir devenir tous ceux que j’avais envie d’être, d’avoir carte blanche. Tout était à inventer, rien n’était écrit d’avance. Et le vide géographique où nous avons grandi y a contribué.

Votre roman repose sur une lecture intime de cette époque.

Parce qu’à la fin ce n’est ni la vie en entreprise, et encore moins le système de production capitaliste qui ont été bouleversé, mais les rapports familiaux et amoureux, le statut des femmes et des homosexuels.

Cette liberté, ce désir de transgression ne trouvent-ils pas écho dans la sexualité fluide d’aujourd’hui ?

Je crois que ce désir de liberté se focalise désormais sur la question du genre, plus que sur les comportements sexuels. C’est une différence notoire, changer de genre est un choix  impliquant, un engagement lourd, d’une vraie gravité.

Vous étiez plus insouciants?

Oui, la recherche du plaisir était notre seule boussole.

Il se dégage de votre livre une allégresse qui a été comme écrasée en l’Italie, durant les années de plomb.

La situation était très différente dans nos deux pays. Nous n’avons pas connu de lutte armée, à l’exception de quelques épisodes violents.

Pourquoi, selon vous?

Je pense que c’est dû en partie au fameux centralisme français et à la présence, à la tête de l’Etat, du général de Gaulle. Aussi contestable fusse-t-il, il restait l’homme qui s’était dressé contre le nazisme, avait organisé la Résistance et sauvé l’honneur du pays en refusant  la Collaboration. Les choses étaient moins nettes en Italie, surtout à partir du moment où les armes ont commencé à parler, où l’on a commencé à « jambiser » des syndicalistes, il est devenu difficile de faire marche arrière. Beaucoup de Français préfèrent ignorer cette différence et assimilent les deux périodes. Mais je me souviens du climat très particulier de l’Italie d’alors : les gens se renfermant chez eux par crainte d’un drame toujours possible, les rues étaient désertes le soir. C’était impressionnant.

Vous revenez sur vos rencontres avec des personnages comme Benny Levy, Michel Foucault, Roland Barthes.

…Hélène Cixous aussi bien. Toutes ces figures étaient accessibles à l’ancien petit militant maoïste que j’étais, je pouvais même dormir chez elles. Il y avait parfois des sous-entendus érotiques à ces rapprochements mais pas toujours. Plus personne ne considérait son appartement ou son lit comme une propriété personnelle.

La confrontation avec votre père frappe par sa force, mais on sent aussi une grand affection pour lui, ainsi que pour vos frères.

Mon père a mal réagi à ces évènements, comme aux expériences homosexuelles de ses fils, c’était un homme d’une autre époque dont le monde s’est trouvé déstabilisé. Mais il n’était pas obtus et il faisait un usage merveilleux de la langue française, avec des mots toujours très précisément choisis. Mais mes frères ainés eux-mêmes ont subi le poids des bouleversements d’alors, ils étaient trop disciplinées pour en sorti indemnes. J’ai eu la chance de naitre un peu plus tard, et d’être plus souple qu’eux. C’est au sortir d’une opération que des milliers de souvenirs d’alors me sont revenus et j’ai voulu faire de ce livre un acte de réparation envers eux.

Original en italien