Le Paradoxe millérien

“Dans ses livres, Henry Miller met souvent en scène des personnages aux prises avec leurs instincts, leur culpabilité et leur égoïsme. Le fait que ce personnage “ait mal” de manger sous le regard de l’autre…”KB

Klara Buda

Paradoxe typiquement millérien :
« Il dit que ça lui fait mal de s’envoyer un bon repas, avec moi pour témoin. »

Dans ce passage, Henry Miller montre que le personnage en question éprouve un certain malaise ou une culpabilité à profiter d’un repas copieux alors que le narrateur, témoin de la scène, est manifestement démuni ou affamé. L’idée, c’est que « ça lui fait mal de s’envoyer un bon repas, avec moi pour témoin » traduit une gêne profonde : il a conscience de son privilège (bien manger) face à quelqu’un qui n’a pas la même chance, et cette situation le met mal à l’aise. Autrement dit, il y a une tension entre le plaisir de la nourriture et la culpabilité de le faire sous les yeux de quelqu’un qui en est privé.

Dans ses livres, Henry Miller met souvent en scène des personnages aux prises avec leurs instincts, leur culpabilité et leur égoïsme. Le fait que ce personnage “ait mal” de manger sous le regard de l’autre ne le pousse pas forcément à partager son repas, justement parce que le malaise fait partie intégrante de l’ambiance cynique et parfois cruelle du roman. Il ressent une forme de honte ou de gêne, mais pas au point de véritablement agir de manière altruiste.


Autrement dit, on a là un paradoxe typiquement millérien : la conscience du privilège (ou de l’injustice) est présente, mais elle n’aboutit pas à un geste de partage. Cela illustre la tension entre l’empathie – fugace et vaguement culpabilisante – et l’indifférence égoïste, un thème central chez Miller.


«La culpabilité sublime la jouissance du privilège, tant qu’on ne cède rien à l’autre.» KSB