Interview avec Joséphine Dedet, auteur de « Géraldine, reine des Albanais 1» paru  en Hongrie, éditions Europa, sortie le 27 Aout, 2015

KBP – D’après les témoignages publiés dans votre livre les Albanais aimaient  Géraldine. Comment expliquez-vous l’amour des Albanais pour la reine ?

Dès son arrivée en Albanie, en décembre 1937, la comtesse Géraldine Apponyi, qui n’avait pourtant que 22 ans, a fait preuve d’une maturité hors du commun. Issue de la haute aristocratie hongroise, apparentée à la plupart des familles royales de la Vieille Europe, polyglotte et cultivée, cette jeune femme avait une très rare qualité : l’intelligence du cœur. Elle a tout de suite profondément ressenti de l’amour pour ce pays, pour son histoire, pour la poésie qui s’en exhale, ainsi que pour ses habitants, dont elle admirait le courage, le sens de l’honneur et l’hospitalité.

Géraldine a eu un double coup de foudre : pour son futur mari, le roi Zog, dès qu’elle l’a rencontré, et pour le pays qui allait devenir son royaume. Ce double amour, très profond, ne l’a jamais quitté. Jusqu’à son dernier souffle elle les a aimé de toutes ses forces, et ses forces étaient grandes.
Comment les Albanais auraient-ils pu ne pas l’aimer en retour ?

Bien sûr, elle les a séduits car elle était ravissante – on surnommait « la rose blanche de Hongrie ». Un témoin de l’époque, qui l’a accompagnée dans son voyage en Albanie, l’a parfaitement décrite en deux mots : « C’était une beauté charmante ».

Mais les Albanais ont surtout compris qu’elle venait à eux avec tout son cœur et sa bonté, pleine d’attentions pour eux, sans préjugés et en réfléchissant à ce qu’elle allait dire et faire. Elle les a touchés aussi en apprenant immédiatement leur langue.

Après sa courte année de règne, ils ont vu avec quelle dignité elle se comportait pendant ses 63 années d’exil. Elle pensait à eux tous les jours, à leurs souffrances sous le joug communiste. Lorsque j’ai commencé à correspondre avec elle, en 1995, pour écrire ma biographie et jusqu’à sa mort en 2002, elle n’a cessé de parler de l’Albanie et des Albanais. Toutes ses pensées étaient tournées vers eux. « Je ne faisais que rêver et essayer de comprendre, me rendre digne de l’honneur de ce qui m’attendait », avait-elle dit lors de ses fiançailles. Toute sa vie, elle s’est efforcée d’être digne de ce titre de reine et de son devoir envers les Albanais, et ces derniers l’ont parfaitement senti.
C’est la raison pour laquelle aucune critique n’a jamais été émise à son encontre, sous le régime d’Enver Hoxha. C’est dire le charme irrésistible de cette femme d’exception.

KBP – Comment  définissez-vous le rôle de la reine Géraldine en Albanie, malgré la courte durée de son règne ?

Quand on lui demandait de définir son rôle, elle répondait toujours : « Devoir et amour ». Ces deux mots, simples et profonds, elle n’a pas fait que les prononcer. Elle les a vécus.

Géraldine n’est pas arrivée en Albanie avec des idées toutes faites. Elle s’est laissée porter par la magie de ce pays, par la beauté de ses paysages, par la bonté des gens qu’elle rencontrait. Elle s’est laissée guider par l’amour, elle a vu l’Albanie à travers les yeux de son mari, qui lui en parlait tous les jours, et aussi par ses propres yeux et de toute son âme.
En un sens, on peut dire que la très grande vie spirituelle de Géraldine lui a ouvert le chemin du cœur des Albanais, comme de toutes les personnes qu’elle a croisées au cours de sa vie.
Elle voulait appuyer, bien sûr, les réformes de son mari en faveur du développement du pays et de ses infrastructures, de l’amélioration de la condition des femmes, des enfants, des orphelins et des vieillards. Elle avait à la fois l’enthousiasme de la jeunesse et le souci de ne heurter personne, d’agir à bon escient, avec justesse et à-propos. C’est cela que j’appelle l’intelligence du cœur.

KBP – Les réformes entreprises par le roi Zog avaient-elles, en quelque sorte, pour but de préparer l’Albanie à cette grande ouverture sur le monde occidental ?

C’est certain. Le roi Zog avait pour modèle la Turquie de Mustafa Kemal Atatürk : un pays qui se développe sur le plan économique, qui donne toute sa place aux femmes et qui se laïcise afin d’assurer l’égalité de tous devant la loi. Le droit de vote aux femmes, l’instruction publique obligatoire, l’adoption d’un code civil attribuant aux tribunaux civils toutes les compétences en matière de mariage, de divorce ou de successions, toutes ces mesures étaient conçues dans l’objectif d’ouvrir l’Albanie au monde, après des siècles de léthargie sous l’empire ottoman, et d’en finir avec un féodalisme qui entravait son essor.

Le mariage royal, en 1938, s’est voulu un symbole de cette volonté d’ouverture. En choisissant d’épouser une jeune femme moderne et sportive, Américaine par sa mère, issue de la Vieille Europe nobiliaire par son père, cultivée et pleine de simplicité à la fois, le roi Zog a fait de l’Albanie un pays vers lequel toutes les caméras et les photographes du monde ont été tournés, pour la première fois de son histoire. En épousant une catholique alors qu’il était musulman, dans le cadre d’un mariage civil, il a montré l’importance qu’il accordait à l’union de tous les Albanais, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. Ses détracteurs eux-mêmes le reconnaissent : on lui doit la création d’un État. Et cet État, il l’a voulu uni et laïque.

[1]« Géraldine, reine des Albanais » paru en France (première édition : Criterion en 1997 ; deuxième édition, revue et augmentée : Belfond, 2012) et en Hongrie, éditions Europa, sortie le 27 Aout, 2015

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