Paris, le 6 mars 2024.
Série – Figures orthodoxes persécutées par le régime albanais
Mgr Christophor, le serviteur providentiel couronnant de succès des décennies d’efforts consacrés à la reconnaissance de l’autocéphalie de l’Église orthodoxe albanaise.
En 1958, l’archevêque Kristofor Kisi (Mgr Christopher) fut retrouvé mort, empoisonné par le régime communiste en Albanie. Premier et dernier primat de l’Église orthodoxe autocéphale d’Albanie (1937-1948) et premier primat albanais canonique, reconnu par le Patriarcat œcuménique et l’ensemble du monde orthodoxe, il demeure une figure éminente et vénérée de la foi orthodoxe albanaise.
Dans l’Albanie communiste d’après-guerre, sous l’oppression d’un régime tyrannique, la persécution n’épargnait ni les hommes ni les femmes de foi, qu’ils soient catholiques, orthodoxes ou musulmans. Tous marchaient sur le fil tranchant d’une angoisse quotidienne. Les églises et les mosquées, autrefois refuges de paix et de spiritualité, devinrent de silencieux témoins d’une époque où embrasser sa foi devenait un acte périlleux. Pour les dignitaires musulmans, l’absence d’exécutions publiques ne signifiait pas clémence, mais condamnation à des décennies de prison, où l’esprit et le corps s’érodaient lentement, à l’abri des regards compatissants. Certains murmuraient que l’éducation coranique d’Enver Hoxha ajoutait une ironie tragique à cette répression, révélant la complexité de son despotisme.
La répression se déroulait comme une longue litanie de souffrances et de résistances. Au sein de cette tragédie, l’archevêque Mgr Christopher brillait d’une lumière singulière. En 1958, il fut retrouvé mort, empoisonné. Mgr Christopher, dernier primat de l’Église orthodoxe autocéphale d’Albanie de 1937 à 1948, était un homme de foi profonde, un erudit doué pour les langues, et un chimiste éminent. Il avait établi son laboratoire à Saint-Procope, à Tirana, posant ainsi les fondations de la future faculté des sciences. Il fut un ardent défenseur de l’autocéphalie de l’Église albanaise, un projet initié par Fan Noli mais resté inachevé à cause de divers conflits. La détermination de Mgr Kisi à ne pas subordonner son Église autocephale d’Albanie à l’orthodoxie russe précipita sa chute. Peu avant le départ d’une délégation albanaise pour Moscou, il fut destitué par les communistes, signe annonciateur de la vague de répression qui allait s’abattre sur les hommes et femmes de foi. Sa mort, enveloppée de mystère, jeta un voile sombre sur les espoirs d’une époque disparue, laissant une empreinte indélébile sur le patrimoine religieux et culturel de l’Albanie.
Kristofor Kisi – Mgr Christophor
Avant le début de la Première Guerre balkanique, Kristofor Kissi retourna à Constantinople, et en 1916, fut ordonné évêque de Markiqoj (Markaqi). En 1923, il démissionna de son poste d’évêque de Markiqoj. La même année, voyant les efforts des orthodoxes albanais pour l’autocéphalie, il retourna volontairement en Albanie, où il prit la direction de la métropole de Berat.

De droite à gauche : l’Archevêque Christophor l’Évêque Hiérothée Jaho, et l’Évêque Théophane (Fan) Noli, qui vient juste d’être consacré. L’Église Saint-Georges, Korçë, le 21 novembre, 1923.
Le 21 novembre 1923, en communion avec Son Excellence Timothy Hiérothée (Jeroteu), il conféra à Mgr Noli (Théophane) la grâce épiscopale dans l’église de Saint-Georges à Korça. En 1929, afin de demeurer en accord avec les canons sacrés, il choisit de se retirer en prière au monastère. Cinq ans plus tard, en 1934, il fut appelé par Constantinople à la dignité de métropolite de Korça. Le 12 avril 1937, il reçut la consécration en tant que président du Saint Synode et archevêque de toute l’Albanie.
Dans un article publié le 24 août 2021, Fritz Radovani met en lumière une reconnaissance significative : “Le Patriarcat œcuménique de Constantinople a accordé à l’Église d’Albanie le statut d’autocephalie, une décision prise exclusivement sur le fondement de l’autorité de Monseigneur Kristofor Kisi. Ce dernier jouissait d’un profond respect auprès de toutes les entités impliquées. Il était particulièrement estimé par le Patriarcat œcuménique de Constantinople, vénéré par le peuple albanais, respecté par le clergé orthodoxe, et jouait un rôle crucial dans les relations entre l’Église orthodoxe autocephale d’Albanie et l’Église catholique albanaise.”*
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Kisi “soutint” (ne s’opposa pas ouvertement) l’initiative de l’Italie et du Vatican (ultérieurement avortée) d’unir l’Église orthodoxe à l’Église uniate. Kisi et la haute hiérarchie de l’OACA, contrairement à la position de nombreux clercs et laïcs orthodoxes, soutinrent le mouvement de résistance anticommuniste après la Seconde Guerre mondiale et avaient précédemment salué la décision des autorités allemandes d’étendre la juridiction de l’église albanaise au Diocèse de Prizren (aujourd’hui au Kosovo) et aux évêchés nouvellement créés de Peshkopia et Struga (aujourd’hui en Macédoine du Nord).
En 1942, il fut convoqué par le représentant en Albanie de Victor-Emmanuel III, Jakomon, qui, en l’absence d’évêques orthodoxes, lui demanda de nommer des évêques uniates aux postes vacants. Pour empêcher cette nomination, il fit appel au théologien Irine Banushi et lui proposa de recevoir la consécration épiscopale, écartant ainsi la désignation d’évêques uniates en Albanie.
Sous la pression du régime communiste, il fut contraint de démissionner le 25 août 1948, bien que les statuts lui accordassent le droit de demeurer à vie à la tête de l’Église orthodoxe albanaise. Il fut interné au monastère d’Ardenica le même mois. En 1948, Pais Vodica, veuf et sans formation théologique, également connu sous le nom de Père Pashko et père biologique de Josif Pashko, haut fonctionnaire communiste, fut placé par le pouvoir communiste en tant que primat (non canonique) de l’Église autocéphale d’Albanie.
Plus tard, Mgr Christophor fut autorisé par le régime à retourner à l’église de Saint-Procope.
Le 17 juin 1958, il fut trouvé inconscient dans l’église de Saint-Procope et emmené à l’hôpital de Tirana encore vivant. Selon le témoignage de ses proches, les premiers secours avaient été refusés à l’archevêque Mgr Christophor. Aucune chambre de l’hôpital ne lui avait été accordée, et il est mort dans le hall de l’établissement, le même jour.
Monseigneur Christophor non seulement consacra Fan Noli — ardent défenseur de l’autocéphalie de l’Église orthodoxe albanaise, autoproclamé évêque — comme évêque canonique en 1923, mais empêcha également la nomination d’évêques uniates en Albanie. Par son œuvre et ses relations tant à Constantinople qu’au Vatican, il couronna de succès la reconnaissance de l’autocéphalie, la sortie de l’Église orthodoxe albanaise de l’isolement international, ainsi que son renforcement et sa survie à travers divers régimes et conflits, en tant que premier archevêque canonique de toute l’Albanie, de 1937 à 1948.
Le lieu de sépulture de Mgr Christophor demeure inconnu, bien qu’il ait été le premier archevêque albanais à être reconnu canoniquement par l’ensemble du monde orthodoxe, et qu’il représente une figure de première importance dans l’histoire ecclésiastique de l’Albanie. Écarté de la direction de l’Église orthodoxe et persécuté par le régime, il s’éteignit dans des circonstances mystérieuses.
La mort de Mgr Christophor, l’architecte de l’autocéphalie orthodoxe albanaise, demeure entourée de soupçons, et l’hypothèse d’un empoisonnement reste la plus plausible.
*RADOVANI, Fritz, la revue en ligne Radi & Radi, le 24 août 2021.