Paris, le 1 juillet 2023
Degas a laissé une vingtaine de remarquables sonnets.
Danse, gamin ailé, sur les gazons de bois,
N’aime rien que ça, danseuse pour la vie
Ton bras mince placé dans la ligne choisie,
Équilibre, balance et ton vol et ton poids.
Taglioni, venez, princesse d’Arcadie ;
Nymphes, Grâces, venez des âmes d’autrefois
Ennoblir et former, souriant de mon choix
Le petit être neuf, à la mine hardie
Si Montmartre a donné l’esprit et les aïeux,
Roxelane le nez et la Chine et les yeux,
Attentif Ariel donne à cette recrue
Tes pas légers de jour, tes pas légers de nuit ;
Fais que, pour mon plaisir, elle sente son fruit,
Et garde, au palais d’or, la race de sa rue.
Ce sonnet annonce donc de manière très claire son projet poétique. Si les Nymphes et les Grâces sont convoquées, ce n’est plus pour chanter leur beauté, mais pour que cette beauté soit transmise et vienne former un nouvel être qui serait l’héritier de leur grâce. Les Nymphes, puis Taglioni, puis le « petit être » à la mine hardie : Degas propose une généalogie de danseuses et insiste sur le point le plus important, il faut que la nouvelle recrue soit représentative de son milieu et de son origine, il faut « sentir son fruit », d’où la nécessité de garder « la race de sa rue » (v. 14).
Le travail du poète paraissait à Degas comparable au travail du dessinateur tel qu’il le concevait. « Quel métier ! Criait Degas, j’ai perdu toute ma journée sur un sacré sonnet, sans avancer d’un pas… Et cependant, ce ne sont pas les idées qui me manquent… J’en ai trop… » Le poète Stéphane Mallarmé dînant avec lui chez Berthe Morisot lui répondit : « Mais, Degas, ce n’est point avec des idées que l’on fait des vers… C’est avec des mots. » Il aurait pu faire un poète remarquable pensait Valéry.
Source OpenEdition books