Paris, le 30 juin, 2025.
Boualem Sansal aime les métaphores. Il est une image qui lui est chère : celle du papillon, qui d’un simple battement d’ailes, peut provoquer un ouragan à l’autre bout du monde.
Il est ce papillon, ce lanceur d’alertes qui espère provoquer une salutaire prise de conscience devant ce danger mortifère qui menace l’homme, l’islamisme politique.
Si l’ennemi est le même, Sansal n’est pas Houellebecq. Dans « Soumission », Houellebecq imagine la prise du pouvoir par des élections démocratiques. Dans « Gouverner au nom d’Allah », Houllebecq démontre que ce schéma n’est pas possible. Qui dit conquête du pouvoir par les urnes, dit possibilité de le perdre par les urnes. L’agenda n’est pas celui-là. Sansal nous alerte : il n’y aura pas de retour en arrière, de bonne vieille alternance. L’islamisme entend prendre le pouvoir pour détruire l’ordre impie et préparer le plan de Dieu, la venue du messie.
Pour lui, l’objectif est pour limpide : l’occupation, la transformation radicale, définitive de cette terre d’infidèles en terre de croyance. Ce que Daesh a fait en Syrie, une éradication totale de l’ancien monde. La renaissance de l’Islam, non pas la religion de paix mais la mystique de la conquête, une prétention globalisante, totalitaire.
Boualem est notre Cassandre à nous. Il pressent, il alerte mais nous ne l’écoutons pas.
Pour parler de nous … Pour parler de l’homme, il utilise une autre image, plus effrayante : celle de l’oiseau auquel il nous compare volontiers. L’homme est comme l’oiseau, libre ! Mais la différence, c’est qu’il est idiot. Il peut aller partout, mais il ne cesse de s’inventer des cages. Et la religion est pour Boualem Sansal l’une de ces cages lorsqu’elle s’inscrit dans un projet politique totalitaire. Il n’est pas hostile à la religion en soi, reconnait le rôle individuel qu’elle peut jouer dans la construction de son équilibre intérieur. En revanche, il pourfend la religion lorsqu’elle prétend gouverner la cité. En cela aussi, Boualem est Français.
Notre confrère est un homme libre, infiniment libre. Et c’est cet amour immodéré de la liberté qui l’a conduit à devenir très tôt de venir ce lanceur d’alerte que nous évoquons, contre l’islamisme et ses impacts sur nos sociétés.
Cet engagement rythme sa vie depuis un bon moment. La menace, il l’a découverte il y a longtemps déjà, chez lui, sur cette terre de lumière, l’Algérie qui dans les années 90 sombre dans la pénombre. En 1992, les islamistes plongent son pays natal dans la guerre civile. Lui rejoint un groupe d’intellectuels engagés qui s’est donné le devoir de témoigner et d’alerter le monde. Il est déjà l’objet d’une fatwa.
Son combat contre l’islamisme commence. Il ne s’arrêtera jamais. Boualem Sansal invente un mot : islamistophobe. Un mot qui exprime très clairement la distinction entre la religion, l’islam – il n’est pas islamophobe – et l’islamisme, cette idéologie politique mortifère qui vise à instaurer une vision totalitaire du monde.
Et comme Boualem le scientifique est devenu un écrivain, un écrivain francophone majeur, c’est évidemment la plume qui s’impose comme l’instrument naturel de son combat. Un combat planétaire pour celui qui est très vite convaincu que l’islamisme n’est pas un problème algérien mais un problème mondial.
On garde tous en mémoire cette lettre adressée en octobre 2022 à l’attention du secrétaire général des Nations Unies, baptisée « lettre d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la terre », un manifeste à l’humour féroce, pour appeler à sortir de l’âge des dieux et à entrer dans celui des hommes.
Boualem est Cassandre. On ne l’écoute pas. On ne lui répond pas.
C’est peut-être dans « 2084 – La fin du monde », publié en 2015 et récompensé du Grand Prix du roman de l’Académie française qu’il exprime avec le plus de gravité et de beauté cet engagement.
Dans 2084 il imagine une dictature islamiste mondiale, L’ABISTAN, un pays où la vie est rythmée par des pèlerinages sans fins et le spectacle de châtiments publics. Dans 2084 contrairement à 1984 dont le livre est inspiré, il n’y a pas d’histoire d’amour car dans l’Abistan, les femmes et les hommes ne se rencontrent jamais. L’amour n’a pas sa place dans un régime islamiste. Le mariage bien sûr y est présent, précoce mais strictement dédié à la gestion des pulsions physiques avec comme but ultime la procréation.
Pour Boualem Sansal, l’Abistan n’est pas une dystopie. Il lui suffit de regarder autour de lui. Il pointe l’exemple de la Tunisie de l’après Ben Ali, un pays qui fait des concessions, un pays laïc qui s’empresse d’écrire dans la constitution que l’islam est une religion d’état.
Et l’occident, et la France, notre pays, son pays, ce pays dont Boualem Sansal est devenu un citoyen inquiet ? Inquiet ou plutôt lucide. Boualem est Charlie. Il défend le droit de critiquer toutes les religions. Il pourfend les communicants de l’islamisme qui ont réussi à culpabiliser l’Occident comme s’il fallait prendre les bourreaux pour des victimes.
Dans « le train d’ErlIngen ou la métamorphose de Dieu », cet esprit fantasque et inquiet observe les ravages de la propagation d’une foi sectaire dans nos démocraties fatiguées. L’ouvrage se présente sous la forme de feuillets narratifs interposés, lettres d’Ute, la mère à sa fille à Londres. La ville en crise souffre et reçoit les échos de la mondialisation de l’islamisme. Les populations se sentent cernées par cette idéologie. La peur s’installe et on vit comme dans un camp. On attend le train.
Le train. La comparaison est limpide entre islamistes et nazis. Pour Boualem Sansal, les Idéologies sont proches avec les mêmes repères, le culte du chef, la race élue, les sous-produits de l’humanité qu’il faut détruire, nous autres mécréants.
Face au péril, la tendance au déni est identique, tendance à ne pas réagir. Comme dans l’Europe des années 30 lors de la montée des périls.
Le livre rappelle le désert des tartares de Buzzati … on attend les envahisseurs. Tant que ça ne frappe pas à notre porte, on ne se sent pas concerné.
Boualem Sansal est intransigeant, parce qu’il sait de quoi il parle. Les négociations, ne sont pas possibles. 300.000 MORTS en Algérie. Une radicalité à laquelle s’oppose naturellement une autre radicalité. C’est en Algérie, le système militaro-policier qui le retient aujourd’hui prisonnier. C’est partout la perspective de systèmes très durs décidés à combattre l’islamisme par les armes.
Et pour lui, le mal est déjà chez nous. Il l’explique de sa voix douce, avec la force de ses convictions. Les actes terroristes ne constituent pas des actes isolés mais une véritable guérilla visant à s’étendre en une guerre totale. Et reconnaissons-le, dans certains quartiers, cela se passe déjà comme il l’écrit. Cet univers totalitaire, où des pans entiers de populations sont mis au service d’une foi, ce n’est pas une dystopie, c’est déjà une réalité.
Boualem se fait imprécateur pour critiquer la gestion de la laïcité par notre République, estimant qu’elle est inadaptée et par conséquent désastreuse face aux défis posés par l’islamisme. Il le proclame : l’islamisme même à faible dose peut déstabiliser un pays. Il alerte, encore et encore : l’islamisme modéré n’existe pas. C’est une stratégie pour atteindre le pouvoir. Et nos esprits cartésiens ne doivent pas se tromper : l’Islam politique, ce n’est pas la démocratie chrétienne. Ici, Il s’agit de détruire le pouvoir de l’homme, d’en faire un croyant, pas un citoyen.
Il se bat contre notre naïveté, et parfois contre notre lâcheté. Il constate que dans cette phase de notre histoire collective, les faibles, les velléitaires, les invertébrés pullulent. Chacun se replie sur soi, sur sa famille. La Nation s’efface devant une galaxie de communautés, chacun brillant autour de son soleil.
Son combat, c’est celui pour de notre liberté, notre liberté à tous. Et l’histoire est là pour rappeler que l’on a toujours intérêt à écouter Cassandre.
note: le texte de l’intervention d’autrice devant l’Académie des Sciences d’Outre-mer.