Au delà de l’oubli

Il est très important de garder vivante la mémoire du totalitarisme, à travers des récits et des témoignages et faire ainsi la lumière sur tant de vies brisées, de voix étouffées, de destins détruits qui ne peuvent et ne doivent nullement tomber dans l’oubli.  

Ermira Godo

Paris 2 december, 2018

Des Universités françaises à l’obscurité de la dictature.

Il est très important de garder vivante la mémoire du totalitarisme, à travers des récits et des témoignages  et faire ainsi la lumière sur tant de vies brisées, de voix étouffées, de destins détruits qui ne peuvent et ne doivent nullement tomber dans l’oubli.  

“Au delà de l’oubli” c’est un livre dédié à mon grand-père, un homme que je ne l’ai jamais connu, bien qu’il m’ait donné la bénédiction et mon prénom. Il est mort soudainement en déportation alors que j’avais à peine deux ans. Mais l’image de cet Homme et sa projection dans ma vie constituent le nœud gordien de cet œuvre, transformée progressivement en un amour, pour mettre à la lumière son amour, en proie à des souffrances et d’un destin tragique.

A l’époque nous vivions dans une ferme en Albanie, dans une maison construite en pisé par les mains de mon père et de mes oncles. Là, ma mère, dans un vieux bahut vert, avait gardé les livres et les manuscrits de son père. A côté de ces livres, je cachais souvent mon journal intime, jusqu’à ce jour de l’année 1985, lorsque, le cœur serré par la peur de représailles à l’improviste de la police de l’État à notre demeure, j’ai brûlé mon journal intime. J’avais seulement 14 ans, et, depuis, cela est resté la plus grande blessure de mon enfance. Car en effet, en brûlant ce journal intime et en le faisant disparaître physiquement, j’ai brûlé une partie de ma mémoire, de notre mémoire, qui nous appartient à part entière. Je pense que ce n’était pas vraiment moi, qui ai brûlé ce journal, c’était la peur, qui avait envahi notre vie. Depuis, je me suis promis de ne pas oublier ces souvenirs, de les répéter souvent à l’oral et un jour, de les réécrire.

C’est là, une des raisons pour laquelle, après tant d’année, en gardant à l’esprit cette promesse, je me suis tournée vers ses manuscrits, au nom de cette mémoire “brûlée et enchaînée”, et avec le souffle d’un esprit libre, pour la protéger et lui redonner vie, comme une histoire non écrite, tel un avertissement qui porte un témoignage de notre passé commun pour toujours et au-delà de l’oubli. Ainsi, j’ai pris sur mes épaules ce lourd fardeau, de témoigner à travers ce livre, en étant convaincue, – j’ai rarement souhaité autant de me tromper – que les différences de nos langages, de nos cultures, de nos coordonnées géographiques, de nos vies passées, de nos croyances politiques et religieuses ne sont rien, et ne feront plus ériger de barrières insurmontables entre nous, si nous partageons les mêmes valeurs et si nous restons ouverts les uns aux autres.

L’écriture de cette biographie est basée sur une riche documentation provenant des Archives du Ministère des Affaires Intérieures de l’Albanie, des registres scolaires et universitaires de Montpellier, des archives et décisions judiciaires au Kosovo et en Albanie, de divers écrits dans la presse officielle et non officielle, mais aussi des souvenirs des camarades et proches de M. Rami, des archives photographiques de la famille et des photos prises dans les lieux où il a vécu et souffert. Mais ce récit repose surtout sur ses propres manuscrits, qui font le pont entre les générations, le passé, le présent et l’avenir… Ainsi ce livre est un dialogue silencieux et profond avec son personnage ; une méditation et une réflexion sur un monde enfoui sous la dictature. Mais il est en premier lieu un effort afin d’établir la vérité sur le vie et l’œuvre d’un homme qui méritait bien plus que sa vie lui a réservé ; il est surtout une contribution pour reconstruire un vecteur effacé de la mémoire de l’Albanie.

Abdulla Rami, est né à Tatzat, un village près de Delvina au sud de l’Albanie, le 20 mai 1908. Les premières années d’éducation il les a commencées en Égypte, et il les a terminées dans les années 1920, à Delvina. De 1927 à 1931, il a poursuit les études au Lycée Français de Korça – en même classe avec le dictateur Enver Hoxha – il a été diplômé dans la branche de la philosophie. Ensuite il a commencé les études à la Faculté de droit de l’Université de Montpellier – son dossier universitaire nr 8ETP604 – se trouve dans les Archives Départementales l’ Hérault de la Ville.. Là, j’ai pu trouver aussi le dossier du dictateur Hoxha ; dans son dossier universitaire nr 15 ETP 20439,il n’y pas de diplôme et aucun relevé de note.

Dans les années ’40, ce jeune diplômé qui parlait parfaitement le français, l’anglais et l’italien, fraîchement diplômé à Montpellier, il retourne en Albanie. Il est nommé juge de première instance au Sud du pays. Peu de temps après, en avril 1942, il fut nommé juge de première instance de Gjilan au Kosovo et en peu de temps il a donné une grande contribution à la démocratisation de l’institution juridique de cette ville dominée et contrôlée jusqu’à ce moment, par la juridiction serbe.

AU DELÀ-DE L’OUBLI – la première partie