Les églises de la vallée du Drino Albanie au Collège des Bernardins

Exposition photographique de Wandrille Potez. Présenter une telle exposition au Collège des Bernardins n’est pas un simple choix de lieu. Ancien monastère cistercien, aujourd’hui espace de recherche et de dialogue entre foi et culture, il constitue un écrin chargé de mémoire. Les photographies de Wandrille Potez s’y déploient comme un prolongement de l’architecture : elles réactivent les pierres, rappelant que tout édifice sacré demeure porteur d’une histoire vivante.

Klara Buda

Le 9 septembre, Collège des Bernardins, Paris, 2025

Photographie, mémoire et identité albanaise au Collège des Bernardins

“La lumière, chez Potez, devient langage de l’âme — fragile, mais invincible.”

En descendant vers Dhuvjan. Première fois que nous arrivions à pied dans la vallée du Drino, partis la veille de Delvinë sans être certains ni de l’emplacement ni de l’existence des églises tant imaginées, de l’autre côté. Après une nuit passée au col, l’aurore et nous sommes généreusement arrosés de café et de raki par deux bergers à cheval qui nous guident – jusqu’à leur troupeau. Ils font halte dans une clairière où nous entrons comme en territoire haïdouc, persuadés que les pots de lait renferment bien d’autres richesses, et fascinés par une architecture invisible et secrète faite de racines, de roches, de branchages.” Dropull, Albanie, août 2023. Wandrille Potez WP

Le 9 septembre, le Collège des Bernardins a ouvert sa saison d’automne avec une exposition singulière : Des aigles et des anges de Wandrille Potez. Cette présentation dépasse le cadre d’un événement artistique ; elle constitue un acte de mémoire et une méditation sur l’identité spirituelle d’un peuple.

Dans ce titre se joue une articulation subtile entre esthétique et mémoire. L’« aigle » incarne l’enracinement national, la fierté d’un peuple qui refuse l’effacement ; l’« ange » suggère la persistance d’une spiritualité que la persécution n’a pas réduite au silence. Ensemble, ces deux figures composent une iconographie où identité et transcendance ne s’opposent pas mais se soutiennent.

L’exemple le plus saisissant de cette mémoire transfigurée par l’art se trouve à l’église de Goranxi, dans la vallée du Drino : elle dévoile les fresques du transept de Ravena, éclats fragiles d’une mémoire encore vibrante. Ces peintures murales, malgré l’usure du temps et les persécutions du régime communiste, manifestent la continuité d’une foi silencieuse, sauvegardée par la vigilance discrète des habitants. Leur préservation souligne combien l’art sacré peut devenir archive vivante de la résistance culturelle.

Ce rôle de la lumière trouve un écho jusque dans les choix techniques de l’artiste : refus de toute lumière artificielle, attente patiente pour capter la clarté naturelle. Ce procédé n’est pas neutre : il suggère que la vérité des lieux ne peut être saisie que dans leur temporalité propre, dans le dialogue fragile entre la pierre fissurée et l’éclat du jour.

Il me semble que la lumière, chez Potez, devient langage de l’âme — fragile, mais invincible.

Cette intuition ouvre un champ d’interrogations théoriques plus vaste. Comment penser cette lumière, à la fois matérielle et spirituelle, si ce n’est en la replaçant dans une tradition philosophique et esthétique plus longue ? Est-elle seulement un effet esthétique ou bien participe-t-elle d’une tradition plus ancienne, celle de la lumière comme théophanie, déjà pensée par Denys l’Aréopagite ? Peut-on aussi la rapprocher de l’intuition barthésienne dans La chambre claire, où toute photographie conserve une trace de présence, un « ça-a-été » irréductible ?

Dans cette perspective, les clichés de Potez ne relèvent pas seulement d’une documentation patrimoniale : ils produisent une iconographie moderne qui réactive la dimension sacrée, précisément dans un contexte marqué par l’athéisme d’État du régime et par l’effacement systématique des symboles religieux — un état de fait qui perdure aujourd’hui sous la forme d’une indifférence persistante de l’État. En août de cette année, l’église orthodoxe de Saint Ilia à Lekël, Tepelenë, située dans la vallée du Drino, a brûlé. Cette exposition souligne ainsi l’urgence de protéger ce patrimoine et d’attirer l’attention non seulement sur les monuments, mais aussi sur les habitants qui vivent autour de ces lieux et les fréquentent encore.

Présenter une telle exposition au Collège des Bernardins n’est pas anodin. Ancien lieu monastique, devenu espace de dialogue entre foi et culture, il offre une résonance particulière : les photographies s’y insèrent comme un prolongement de l’architecture elle-même, rappelant que les murs sacrés portent toujours une mémoire vivante. Des aigles et des anges témoigne ainsi de la manière dont l’art peut rendre visible ce qui, autrement, risquerait de sombrer dans l’oubli : la dignité d’un peuple, la beauté d’un patrimoine menacé, et une mémoire spirituelle enrichie de lumière qui survit aux ténèbres des régimes autoritaires.

Sous les hautes voûtes gothiques de la grand nef du Collège des Bernardins, l’exposition Des Aigles et des Anges déploie un dialogue saisissant entre architecture médiévale et mémoire albanaise. Les photographies de Wandrille Potez, suspendues le long des murs de pierre, semblent prolonger la texture du lieu : fissures, éclats de fresques et jeux de lumière répondent aux nervures et aux arcs séculaires de la nef. L’ensemble compose une mise en espace sobre mais éloquente, où chaque tirage apparaît comme une fenêtre ouverte sur la vallée du Drino. Vue d’ensemble, la scénographie fait résonner la monumentalité silencieuse du Collège avec l’intimité fragile des églises photographiées : un continuum entre patrimoine européen et mémoire blessée d’un peuple. En arpentant le hall, le visiteur perçoit que la lumière, filtrée à la fois par les vitraux parisiens et par l’objectif de Potez, devient le fil conducteur de l’exposition — un langage discret qui unit espace sacré, résistance culturelle et survivance spirituelle.

 

Laurent Landete, directeur général de l’institution, entouré de Julie Trouvé, responsable du programme artistique et culturel, et de l’artiste et chercheur Wandrille Potez, lors du vernissage de l’exposition photographique Des aigles et des anges.

Exposition photographique de Wandrille Potez au Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, 75005 Paris, du 9 au 23 septembre 2025.

Photo couverture Wandrille Potez : Goranxi, fresques du transept de l’église de Ravena, Dropull (Albanie), mars 2025.

Crédit photographique : © Wandrille Potez. Reproductions soumises aux droits de l’auteur.

Collège des Bernardins ©Klara Buda.

En savoir plus sur l’exposition : https://www.picto.fr/2025/lalbanie-de-wandrille-potez-au-college-des-bernardins/

Sur la proposition de Wandrille Potez, le World Monuments Fund a inscrit les monastères de la vallée du Drino sur la World Monuments Watch 2025, afin de mettre en lumière leur potentiel en tant que modèle de tourisme durable, capable à la fois de préserver le patrimoine et de renforcer les communautés rurales.

Lien : World Monuments Fund – Monastères de la vallée du Drino

Lire également: L’église orthodoxe de Saint Ilia à Lekël, Tepelenë, située dans la vallée du Drino, a brûlé.

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