Les fenêtres de l’âme

“Qu’est-ce qui saisit et fige devant les visages d’Omer Kaleshi ? Le malheur, la tendresse, la peine, la nostalgie, la crainte, l’espoir ou seulement la lumière ? Qu’est-ce qui de la toile se dégage avec un tel pouvoir d’envoûtement ?

Une tête séparée du corps, une jambe seule, un pied côtoyant un crâne, en tant qu’éléments distincts, sont détachés de la silhouette humaine, comme pour évoquer une rupture douloureuse, que l’artiste ou ses prédécesseurs ont vécue et qui a subsisté dans les profondeurs de leur subconscient.” KB

Klara Buda
Omer Kaleshi, 2005 as cortesy of Burim Myftiu

L’espace d’un moment je m’arrête devant une peinture d’Omer Kaleshi et je suis aussitôt envoûtée par la multiplicité des sentiments qui en émanent. Pourtant je n’ai devant moi qu’un visage. Je l’observe et je fouille dans son labyrinthe. Cette figure ovale a un tel pouvoir de projection, qu’avec la rapidité d’un accord musical elle descend au plus profond de mon âme et, en un battement de paupière, me laisse figée.

Qu’est-ce qui saisit et fige devant les visages d’Omer Kaleshi ? Le malheur, la tendresse, la peine, la nostalgie, la crainte, l’espoir ou seulement la lumière ? Qu’est-ce qui de la toile se dégage avec un tel pouvoir d’envoûtement ?

La profondeur et le rythme d’un drame ancien et récent, sans fin : le drame balkanique et, plus largement, le drame humain dans toute son étendue.

Une tête séparée du corps, une jambe seule, un pied côtoyant un crâne, en tant qu’éléments distincts, sont détachés de la silhouette humaine, comme pour évoquer une rupture douloureuse, que l’artiste ou ses prédécesseurs ont vécue et qui a subsisté dans les profondeurs de leur subconscient.

Des têtes qui n’ont pas besoin de corps

La tête-portrait ne se borne pas à rendre, comme toute représentation du même genre, le regard, le modelé des joues, le relief du menton ; elle va au-delà, elle se mue en fenêtre de l’âme. Elle parle presque, et le frémissement des cils, le frisson des narines, la courbe des lèvres qui suggère harmonie et tristesse, permettent de deviner l’ampleur des épaules, la hauteur du buste, d’entendre le son des pas et jusqu’au timbre de la voix, pour finir par reconstituer le corps entier, dont l’absence n’est plus ressentie.

On dirait que les sentiments humains, stratifiés, sont prélevés un à un, pour être projetés tour à tour, comme sur une pellicule cinématographique.

Je ne savais trop si je me trouvais toujours devant le même tableau, car l’immobilisme de la peinture n’empêchait pas le visage de se métamorphoser à l’infini. Mes jambes ne m’auraient-elles pas menée le long des autres tableaux ?

J’avais le sentiment de m’être muée en pendule. Cependant que mon corps décrivait sa trajectoire, ma tête, elle, était restée fixée au point de l’espace d’où je pouvais contempler, fascinée, l’insondable infinité d’expressions du visage humain. Je plongeais dans l’extase comme un derviche tourneur dans son tourbillon.

Petit à petit, j’eus l’impression d’être suspendue au meilleur point d’observation de la nature humaine.

Prodige ou mirage ?

Ne croyant ni à l’un ni à l’autre, tâchant de refréner la tentation de toucher la toile mais sur le point d’y succomber, j’éloignai mes doigts et me frottai les yeux. Des couronnes d’étoiles ceignaient les peintures d’Omer Kaleshi.

Traduit de l’albanais par un autre grad artiste : Jusuf Vrioni

Omer Kaleshi centre. Vernissage 1999 de gauche à droite  Klara Buda Franz-Hadrian Dervis – Vernissage 20 septembre 2019 Omer Kaleshi Klara Buda Franz-Hadrian Dervis. 

 

 

 

Publié aussi CourrierDesBalkans.fr